Tour Eiffel : la Grande Dame de la mauvaise gestion

Article rédigé par @JusquMer avec la contribution des autres membres fondateurs du site #SaccageParis

On entend beaucoup de touristes et de parisiens se plaindre de l’accueil et de l’ambiance autour de la Tour Eiffel. Malgré ses 6 millions de visiteurs par an, le #saccageTourEiffel fait bel et bien partie de #SaccageParis. 

Néanmoins, concernant la gestion de la Tour Eiffel, on peut difficilement reprocher à la Cour des Comptes et à sa Chambre Régionale Ile-de-France de ne pas avoir fait son travail de contrôle et d’alerte. Le 9 janvier 2020, la Chambre a publié son Rapport d’Observations Définitives sur la gestion de la Tour Eiffel, document de 73 pages couvrant la période allant de 2015 à la pandémie Covid. Une vraie mine d’informations. 

1-Qui gère l’exploitation de la Tour Eiffel ?

Il s’agit d’une Délégation de Service Public (DSP) de la Mairie de Paris, propriétaire du monument, vers une société d’exploitation, la SETE (Société d’Exploitation de la Tour Eiffel). La SETE a pour actionnaire quasi-unique la Ville de Paris elle-même. 

La DSP de la gestion de la Tour Eiffel a été renouvelée vers la SETE en 2017 par une Mairie de Paris, semble-t-il, satisfaite de la gestion de son actif au cours de la période de DSP précédent (2009-2017). Cette satisfaction était telle que la Mairie de Paris a tout fait pour éviter la mise en concurrence d’acteurs privés en 2017. 

En effet, comme le pointe la Cour des Comptes, la Mairie de Paris a décidé en 2016 (1 an avant 2017) le changement de statut de la SETE, passant d’une Société d’Economie Mixte (SEM) à une Société Publique Locale (SPL) :

« La transformation de la SEM en SPL, l’année qui a précédé le renouvellement de la concession, a eu pour effet, si ce n’est pour objet, de permettre de renouveler la délégation sans mise en concurrence avec des acteurs privés ».

Cour des Comptes

C’est à minima regrettable car beaucoup de professionnels du secteur privé auraient été ravis de répondre à ce bel appel d’offre. Dont acte, la SETE gère la Tour Eiffel depuis 2009 et la gèrera jusqu’en 2025. 

2-La Mairie de Paris avait-t-elle raison d’être satisfaite ?

Suspense ? En réalité, pas vraiment. 

Anne Hidalgo nous en donne la preuve dès 2018 en débarquant la Directrice Générale Anne Yannick. Il est étonnant d’attribuer en 2017 (pour 8 ans) la DSP à une société, sans mise en concurrence, pour se séparer l’année suivante de sa principale dirigeante (remplacée par Patrick Branco-Ruivo, vétéran de la Mairie de Paris). Il semble qu’il y ait eu des désaccords profonds entre la Maire et la Directrice Générale concernant le projet Hidalguien Trocadéro-Champ-de-Mars. Passons. Les querelles de personnes sont nombreuses dans la vie des affaires et dans la vie politique. Revenons à la SETE, ses salariés et sa performance.

37 % des visiteurs jugent le prix trop élevé au regard de la qualité de la visite et 29 % des visiteurs ne vont pas au sommet pour une raison de coût

Source: Rapport de la Cour des COmptes, 2020

La Cour des Comptes nous apprend que l’actionnaire Mairie de Paris ne regarde que le Chiffre d’Affaires, en constante augmentation (+7% par an en moyenne). Sauf que cette augmentation du Chiffre d’Affaires est principalement le résultat d’une hausse des prix : +10% par an entre 2015 et 2019 !  +7% vs. +10% ? Oui, oui, la fréquentation a baissé. La Tour Eiffel a connu une baisse importante de ses visiteurs alors même que le nombre de touristes en Ile-de-France a largement augmenté au cours de cette période. Plusieurs raisons :

  • Prix trop élevés (compliqué de faire grimper les prix au ciel, même pour la Tour Eiffel)
  • Longues files d’attente (parfois plusieurs heures)
  • Panne des ascenseurs
  • Mouvement sociaux, et bien d’autres …

La SETE a donc sous-performé les résultats du tourisme en Ile-de-France. Ces mauvais résultats auraient dû pousser n’importe quel acteur public à revoir l’attribution de la DSP en 2017 ? Non, car tout le monde a le droit à une seconde chance à la Mairie de Paris ! Y compris la SETE. Dont acte…

3-Depuis 2017, tout va bien, n’est-ce pas ?

Suspense ? En fait toujours pas. 

Même lorsqu’on ne fait pas de mise en concurrence, le droit public ne permet pas de faire une DSP sans un cahier des charges précis de la mission de service public. La SETE s’est donc engagée en 2017 à bien faire son travail (mieux qu’avant) et à respecter les demandes du propriétaire. Ici encore, la Cour des Comptes pointe de véritables manquements.

Il était convenu que la hausse des prix d’entrée devait financer l’amélioration de la qualité du service offert aux visiteurs en aménageant leur accueil et en enrichissant leur expérience de visite. Il était notamment prévu un plan d’investissement de 300 millions d’euros, incluant la mise en place d’un centre d’accueil des touristes pour 75 millions d’euros : « Le projet, visait à accueillir les touristes dans de meilleures conditions et comprenait des salles de spectacle, un musée, des salles d’initiation ludique pour enfants, avec pour objectif général d’offrir aux visiteurs un accueil finalisé, modernisé et confortable dès le 1 er janvier 2024. Présenté au conseil d’administration avant le renouvellement de la délégation, ce projet nécessitait la construction de deux bâtiments entre les piliers, la conservation d’un axe historique dégagé, la requalification du parvis, l’inversion entrée/sortie des piliers. » Comme souvent avec la Mairie de Paris, le projet semble aujourd’hui au point mort et la SETE attend désormais une reprise du tourisme et de son Chiffre d’Affaires. 

La Cour des Comptes reproche également à la SETE de ne pas avoir assez mis en valeur les évènements historiques liés directement et indirectement avec le lieu. Il s’agissait d’un moyen facile d’optimiser le temps d’attente des touristes, comme c’est le cas dans la plupart des lieux touristiques internationaux. Rien de surprenant dans cette absence de mise en valeur lorsqu’on connait le gout modéré de la Mairie de Paris pour son histoire et son patrimoine. 

A quoi a donc servi l’augmentation des prix si les investissements prévus n’ont pas été réalisés ? La Cour des Comptes n’est pas convaincue de la réponse à cette question. Elle pointe du doigt des augmentations de rémunération, aussi bien des non-cadres que des cadres, y compris des parts variables, attribuées à 100% sans véritable critère de performance. Contrainte de s’expliquer, la SETE a précisé que le montant de la part variable « résultait d’une décision du directeur de cabinet de la Maire ensuite avalisée par le comité des rémunérations de la Ville puis le conseil d’administration de la SETE ».

Autrement dit, la Mairie de Paris a donc décidé de l’attribution de 100% de la rémunération variable à des dirigeants d’une société sous-performante depuis plusieurs années, dirigeants dont elle a parfois décidé le départ peu de temps après. Quelle générosité ! Le problème (et oui, encore un) c’est que la SETE attribue des salaires relativement très élevés.

A titre d’exemple, la Cour des Comptes relève qu’un caissier est rémunéré 2 fois plus à la SETE que dans des sociétés comparables en France. C’est 1,7 fois plus pour un agent d’entretien ou encore 2,4 fois plus pour un chef de brigade : « Ces éléments laissent penser qu’au moment de la mise en place de la nouvelle délégation, les risques de trouble et d’altération de la renommée du monument et de l’image mondiale de la Ville causés par les conflits salariaux ont conduit la SETE et sa tutelle à décider d’embauches significatives et d’une augmentation générale des rémunérations, sans une vision maitrisée de la situation. »

Sans s’attarder sur les reproches de manque de rigueur budgétaire ou de non communication de certains documents, il parait évident que la SETE n’a pas encore tout à fait saisi sa deuxième chance. 

Avis de Visiteurs de de la Tour Eiffel (Trip Advisor)

4-La Mairie de Paris est-elle un bon actionnaire ?

Suspense ? Et bien définitivement non.

Au-delà de la confiance étonnamment accordée à la SETE et de l’absence de mise en concurrence, la Cour des Comptes reproche explicitement à la Mairie de Paris de ne pas avoir joué son rôle d’actionnaire, de superviseur :

 « Il est regrettable que la Ville n’ait pas imposé à la SETE, lors du renouvellement de la délégation, d’engager la formalisation d’une stratégie, fondée à la fois sur un diagnostic précis des points forts et des points faibles de la gestion des files d’attente, et sur une analyse des méthodes suivies dans les parcs d’attraction, qui se fait toujours attendre ».

Cour des Comptes

En gros, la SETE n’a pas de stratégie (on parle d’une société de 100 millions d’euros de Chiffre d’Affaires annuel) et la Mairie n’y trouve pas grand-chose à redire. Il est également reproché à la Mairie de Paris de:

  • Faire abstraction des indicateurs de performance économique pour n’avoir d’yeux que sur le sacro-saint Chiffre d’Affaires (où sont les spécialistes de la finance ?)
  • D’avoir validé trop rapidement les augmentations de salaire
  • D’avoir accordé le paiement des primes sans critère précis. 

Plus généralement, la Cour des Comptes pointe du doigt un « manque d’exigence de la Ville de Paris vis-à-vis de son délégataire » et une faiblesse des procédures de contrôle.  

La Cour des Comptes met donc en lumière l’incapacité de la Mairie de Paris incapable à gérer le monument le plus visité au monde. A défaut d’une remise en question, les touristes (ceux qui voudront encore venir) continueront à être confrontés aux files d’attente interminables et à une insécurité grandissante aux abords de la Tour Eiffel, le tout pour des tarifs allant de 10,50€ à 19,90/visite.


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