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La dette : radiographie d’une addiction parisienne

L’équipe municipale emmenée par Anne Hidalgo depuis 2014 a fait du recours massif à la dette un pilier de sa politique. En effet, avec pour principal créancier la Caisse des Dépôts et Consignations (donc l’Etat), la Ville de Paris n’a cessé d’accroître son endettement afin de financer sa politique de “grands projets”, si importante pour une Maire plus préoccupée de laisser une marque de ses mandatures dans l’histoire de Paris que de gérer la ville au quotidien : Plan vélo, Place de la République, Promenade Urbaine, etc… Des projets à plusieurs dizaines de millions d’euros dont le succès est désormais bien connu des Parisiens.

Mais plus étonnant, la Ville de Paris a beaucoup eu recours à la dette pour financer ses dépenses de fonctionnement, en contradiction totale avec les règles les plus élémentaires de la comptabilité publique et les recommandations de la Cour des Comptes.

Les risques inhérents à cet endettement massif ont été ignorés, soit par incompétence soit par intérêt court-termiste. Notre objectif avec cet article :

  • Comprendre les composantes de cette dette
  • Questionner la communication de l’équipe municipale qui cherche, évidemment, à déminer un surendettement réel et factuel

Bienvenue dans le monde extraordinaire de la dette parisienne !


1. Une augmentation permanente du niveau d’endettement de la Ville de Paris

D’après la Mairie de Paris, le niveau d’endettement de la Ville de Paris, net de tout élément de trésorerie, a dépassé les 7 milliards d’euros à la fin de l’année 2021. Oublions (pour le moment) les éléments constitutifs de ce montant et concentrons-nous sur son évolution. Depuis la première élection d’Anne Hidalgo en 2014, la dette a augmenté de 70%, soit un taux de croissance annuel moyen de 7,9%. A titre de comparaison, sur la même période, ce taux de croissance annuel est de 3,4% pour la dette publique nationale.

L’enjeu ici n’est pas de nous interroger sur le bien-fondé de la politique d’investissement de la Ville de Paris même si nous ne pouvons qu’être sceptiques face à (i) l’utilisation de ces montants empruntés, comme par exemple l’acquisition de biens immobiliers au prix fort via un exercice actif du droit de préemption, et (ii) à la baisse constante de qualité des services municipaux.

Analysons de plus près la communication optimiste de la Ville sur le poids de la dette

Comme à son habitude, l’équipe municipale s’enferre dans un déni de réalité flagrant face à ces chiffres de dette vertigineux, utilisant, comme souvent, des arguments dont elle ne comprend pas le sens.

Ainsi, pour le 1er Adjoint, Emmanuel Grégoire, « la dette est un puissant levier d’enrichissement pour la ville ». Il semblerait qu’Emmanuel Grégoire tente ici de nous expliquer le principe financier de l’effet de levier, utilisé par la plupart des fonds d’investissement et consistant à recourir en masse à l’endettement afin d’augmenter leur rentabilité.

Le concept est simple : la dette ayant un coût traditionnellement fixe (son taux d’intérêt), tout investissement réalisé grâce à ce montant emprunté ayant une rentabilité supérieure au coût de la dette est alors multiplicateur de richesse pour l’investisseur/emprunteur. 

Sauf qu’Emmanuel Grégoire ne va pas au bout de son raisonnement financier en ne nous expliquant pas quels seraient les investissements rentables réalisés par la Ville de Paris depuis 2014. Entre parenthèses, le meilleur retour sur investissement d’une collectivité locale n’est-il d’ailleurs pas l’accroissement du niveau de satisfaction de ses citoyens ? Élément difficilement quantifiable certes mais qui semble extrêmement dégradé à Paris.

En outre, l’équipe municipale a oublié que le recours à l’endettement (le “levier”) ne suffisait nullement à créer de la valeur (malheureusement pour les banques et heureusement pour le système économique). Le levier n’est rien d’autre qu’un facteur multiplicateur de la réussite ou de l’échec d’un investissement sous-jacent.

En synthèse, un investissement réussi deviendra un succès grâce à l’endettement et un investissement raté deviendra un échec à cause de l’endettement. En revanche, un investissement raté ne deviendra jamais un investissement réussi par le simple fait d’emprunter le montant investi, même dans les meilleures conditions possibles.  L’Adjoint aux Finances, Paul Simondon, a lui, choisi une approche de communication a priori moins hasardeuse. Il a le mérite de ne pas se risquer à une analyse financière et comptable erronée. Le gardien des comptes de la Ville de Paris incrimine plutôt des évènements extérieurs pour expliquer l’explosion de la dette : la faute à la Covid et à un gouvernement national qui ne soutient plus les collectivités locales. Ceux qui connaissent la rhétorique de l’équipe municipale sont habitués à l’argument « c’est pas ma faute » (propreté: les Parisiens, sécurité: l’Etat, etc…).

Nous verrons plus loin que lorsque Paul Simondon s’essaye à l’analyse comptable sur les loyers capitalisés, il est un peu moins pertinent. En outre, il est nécessaire de rappeler à l’Adjoint aux Finances que, comme son nom l’indique, la Covid 19 n’est en rien responsable de la croissance exponentielle de la dette parisienne entre 2014 et fin 2019 (+55%).

2. 2021, l’année de la bascule ? Année de rupture sur la question de la dette parisienne

L’année 2021 restera à marquer au fer rouge concernant la question de la dette parisienne.

Pour la première fois, en effet, les Parisiens ont découvert, notamment grâce aux relais du mouvement SaccageParis et de médias généralistes, l’opacité guidant le supposé équilibre budgétaire et la gestion de la dette de la Mairie de Paris. Retour sur les dates clés de l’année.

3 mai 2021

C’est l’agence de notation Fitch Ratings qui abaisse la note de la Ville de Paris, faisant passer cette dernière de AA à AA-.

La Mairie de Paris a très rapidement présenté ce « downgrade » comme étant anecdotique, prétextant qu’une note de AA- indiquait (à raison) que Paris restait un emprunteur solvable. Les élus parisiens, à l’image d’un Emmanuel Grégoire toujours aussi approximatif, ont également mis en avant le AA conservé chez Standard & Poor’s afin de faire taire les critiques.

Ce doublon de AA chez les deux principales agences de notation internationales ne peut malheureusement à lui seul résumer la situation financière de la Ville de Paris. Il est nécessaire de rappeler ici que les agences de notation ont pour mission de noter la solvabilité de l’emprunteur et non la qualité de sa gestion financière et budgétaire. Autrement dit, leurs notes viennent indiquer le niveau de risque-crédit : dans quelle mesure existe-t-il un risque que l’emprunteur ne puisse pas rembourser son créancier à long terme ?

Comme nous l’avons déjà décrit, Paris n’a pas le profil d’un jeune couple qui cherche à financer l’acquisition de son premier appartement mais plutôt celui d’un riche héritier qui dispose d’un patrimoine immobilier considérable, largement suffisant pour rassurer n’importe quel créancier (« On ne prête qu’aux riches »). Ce stock immobilier qui rassure les agences de crédit et leur vision centrée sur la solvabilité de la Ville plutôt que sur sa gestion ne doit pas empêcher d’avoir une vision dynamique de la situation financière de Paris. A ce titre, il est important de relever les éléments suivants :

  • La Ville de Paris termine l’année 2021 avec un endettement net supérieur à 7 milliards d’euros (vs. 4,1 milliards fin 2014), faisant de la capitale l’une des cinq collectivités locales françaises les plus endettées ;
  • La capacité de désendettement (endettement net/épargne de gestion) est désormais supérieure à 12 ans et Fitch Ratings prévoit même un allongement à 15 ans avec un endettement net estimé de 8,6 milliards d’euros à fin 2025 pour une épargne de gestion au mieux stable ;
  • Le budget municipal dépend de plus en plus de recettes fiscales volatiles sur lesquelles la Ville de Paris n’a que très peu de contrôle. C’est le cas des fameux « frais de notaire », les Droits de Mutation à Titre Onéreux (DMTO), qui représentent environ 20% des recettes annuelles courantes et sont soumis aux risques cumulatifs de baisse des prix de l’immobilier parisien et de baisse des volumes de transactions. On peut d’ailleurs ici s’inquiéter des risques budgétaires provoqués indirectement par une détérioration exponentielle du cadre de vie parisien : propreté, fuite des familles, terrasses éphémères, etc… Autant de décisions municipales court-termistes qui vont probablement impacter les volumes et prix des transactions immobilières, diminuant ainsi la manne des DMTO. Il est intéressant de noter que l’équipe municipale tente déjà depuis plusieurs années de convaincre le gouvernement et les parlementaires nationaux d’augmenter ces “frais de notaire”. Sans succès pour le moment. On peut d’ailleurs craindre que cette baisse des recettes liées aux DMTO soit compensée dans un futur proche par une augmentation des impôts locaux ;
  • Le risque de voir la Ville de Paris dilapider son héritage patrimonial se concrétise, au regard du nombre croissant de cessions de biens immobiliers prestigieux sur l’ensemble du territoire national. L’équipe municipale risque ici de transformer le riche héritier qu’est Paris en un « moins riche héritier », mettant en danger les conditions de financement du futur Paris.

16 novembre 2021

C’est la conseillère de Paris et Maire du 7ème arrondissement, Rachida Dati, qui écrit au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, à la ministre de la Cohésion des Territoires, Jacqueline Gourault, et au Préfet de Paris, Marc Guillaume, afin de leur demander d’envisager la mise sous tutelle de la Ville de Paris, appuyant notamment son argumentation sur un manque de « sincérité budgétaire ».

29 Novembre 2021

C’est au tour du ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, et de la ministre de la Cohésion des Territoires, Jacqueline Gourault, d’envoyer un courrier à la Maire de Paris, dans lequel ils indiquent que la Ville de Paris ne pourra plus, après 2022, profiter d’une dérogation de 2016 portant sur la comptabilisation des loyers capitalisés (cf. infra). Les deux ministres indiquent même que « cette dérogation est constitutive d’un risque budgétaire de fuite en avant en ce qu’elle permet de contourner la règle d’or de l’équilibre des sections de fonctionnement et d’investissement ».

Retenons en synthèse (i) que Paris est une ville surendettée mais solvable du fait de son statut de riche héritier (pour le moment), (ii) que les risques de diminution des recettes courantes à moyen terme sont nombreux, et (iii) que le gouvernement a récemment signifié à Paris la fin d’une certain “laisser-faire”.

3. Les loyers capitalisés, une martingale comptable et financière

Depuis 2014, la Ville de Paris, sous couvert d’une dérogation gouvernementale allant à l’encontre de la règle d’or d’équlibre des finances publiques, se comporte comme un joueur de loto qui aurait la certitude de gagner à chaque tirage.

Alors que le traditionnel gagnant des jeux de hasard profite de gains exceptionnels pour réaliser des dépenses exceptionnelles ou pour épargner, la Ville de Paris a une fâcheuse tendance à financer son train de vie quotidien par ces gains exceptionnels, considérant ces derniers comme récurrents. On vous explique la martingale.

La règle d’or de l’équilibre des comptes publics, c’est quoi ?

Cette règle d’or peut se résumer en : une collectivité locale a l’interdiction de vivre au-dessus de ses moyens. En finances publiques, ce principe est défini à l’article L. 1612-4 du Code Général des Collectivités Territoriales, et précise qu’une collectivité doit :

  • Équilibrer chacune des sections du budget ;
  • Évaluer de manière sincère les recettes et les dépenses.

Le budget d’une collectivité territoriale se divise traditionnellement en :

  • Une section de fonctionnement, dédiée aux charges courantes ;
  • Une section d’investissements, avec un ensemble de dépenses et recettes pour chaque section.

La section de fonctionnement regroupe les dépenses liées au fonctionnement courant de la collectivité, dont bien sûr les charges de personnel, mais aussi les charges à caractère général, les provisions, les dotations aux amortissements ou encore les intérêts de la dette. Les recettes de la section de fonctionnement incluent notamment les dotations et subventions de l’Etat et de la Région et les impôts perçus, les recettes courantes. A contrario, la section d’investissements regroupe l’ensemble des dépenses et recettes exceptionnelles : cession d’actif, financement bancaire ou obligataire, financement de projets/travaux, etc. 

Tout comme il est raisonnable dans le budget d’un ménage de ne pas procéder à la vente de son appartement pour payer les courses alimentaires, il en est de même pour les collectivités territoriales, sous le contrôle de la Cour des Comptes et de ses Chambres Régionales. Il est donc interdit à la Ville de Paris de mettre en face de ses dépenses de fonctionnement (par exemple, les salaires de ses communicants) des recettes issues de la section d’investissement, comme la vente d’un actif immobilier ou le recours à un endettement bancaire ou obligataire. Autrement dit, la règle d’or de la comptabilité publique demande à ce qu’une collectivité locale soit gérée “en bon père de famille” et interdit catégoriquement de mélanger les choux (la section de fonctionnement) et les carottes (la section d’investissement).

Les loyers capitalisés, c’est quoi ?

Le principe des loyers capitalisés n’est pas une invention parisienne. Dans le cadre public, les loyers capitalisés sont le corollaire de la conclusion par les collectivités territoriales de baux emphytéotiques administratifs pour la construction et la gestion des logements sociaux par les organismes HLM. En revanche, la spécificité parisienne est d’avoir utilisé ce procédé dans des volumes jamais vus auparavant et d’en avoir fait un outil de financement et d’équilibre budgétaire pérenne.

L’article L. 1311 du Code Général des Collectivités Territoriales définit le bail emphytéotique administratif comme permettant à une collectivité territoriale propriétaire d’un bien immobilier de le louer à un tiers qui pourra construire un ouvrage sur le domaine public et ensuite le louer à la collectivité propriétaire du terrain. Généralement, ces baux sont signés pour une durée très longue (99 ans), représentant ainsi une alternative juridique et économique à une cession.

Le propriétaire peut demander le paiement du loyer par annuité (comme dans un bail immobilier classique) ou sous la forme d’une redevance capitalisée pour toute la durée du bail ou pour seulement une partie. Ce sont les fameux loyers capitalisés.

C’est via ce système de loyers capitalisés, de redevance capitalisée, que la Ville de Paris a vu les différents organismes HLM parisiens (Paris Habitat et RIVP en tête) abonder sa trésorerie d’environ 1,2 milliards d’euros sur les cinq dernières années, avec 200 nouveaux millions d’euros supplémentaires prévus pour 2022.  Là où le bât blesse, c’est que le recours permanent à ces loyers capitalisés est devenu un moyen de financement récurrent pour la Ville de Paris. Cette injection de trésorerie permet de facto de faire porter une partie de l’endettement de la Ville de Paris par les différents organismes HLM (la dette bancaire apparaît alors au passif du bilan des organismes HLM alors que l’endettement net de la Ville diminue des montants perçus), ces derniers s’endettant auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations afin d’honorer ces loyers capitalisés.

Même si le procédé peut surprendre intellectuellement lorsqu’on connaît la situation déplorable d’entretien du parc HLM parisien, il n’est pas interdit. Néanmoins, Paris est la seule collectivité publique française ayant fait de ce système un système pérenne et aussi volumineux. Au total, comme évoqué plus haut, c’est près de 1,2 milliards d’euros qui sont venus réduire de façon cosmétique l’endettement net de la Ville de Paris depuis 2015.

Les loyers capitalisés en comptabilité publique

Dans le cadre d’un bail emphytéotique administratif, la Ville de Paris perçoit donc des loyers capitalisés en début de bail. Ces derniers sont calculés à partir d’une formule complexe qui prend en compte différents facteurs : les recettes locatives estimées, le montant estimé des travaux à réaliser par l’organisme HLM, la valeur de l’immeuble. Le projet d’évaluation des loyers capitalisés est ensuite soumis à la DIE, la Direction de l’Immobilier de l’Etat, pour validation. 

Mais quid de leur traitement comptable ? Cette redevance capitalisée (représentant généralement à Paris 30 ans de loyers) est-elle une recette de fonctionnement (sur le format d’un loyer « classique » annuel) ou une recette d’investissement (sur le format d’une cession de l’actif immobilier) ? La réponse à cette question est clé en termes d’équilibre budgétaire et de respect de la règle d’or des finances publiques. Entre 2014 et 2016, la Ville de Paris a pris la liberté de répondre elle-même à cette question et a intégré ces recettes (exceptionnelles) dans les recettes de la section de fonctionnement du budget. Un vrai mélange des genres.

En résumé, les budgets de fonctionnement (salaires, dépenses courantes, etc.) de la Ville ont été partiellement financés par ces flux de loyers capitalisés provenant des organismes HLM. La méthode choisie n’est en rien intuitive et pourrait faire sursauter n’importe quel commissaire aux comptes (y compris en comptabilité privée) ! Il semblerait que personne n’ait été choqué à la Mairie de Paris, mais pour cela sans doute faudrait-il maîtriser les finances publiques et faire de la sincérité budgétaire une vertu.

En 2015, en réponse aux montants perçus par la Ville de Paris, la Direction Générale des Finances Publiques et la Cour des Comptes sont venues préciser les règles de comptabilité à respecter concernant ces loyers capitalisés. Il a été demandé aux collectivités locales, en premier lieu au spécialiste du procédé, la Mairie de Paris, de retenir une nouvelle méthode de comptabilisation des recettes de loyers capitalisés. La règle est devenue la suivante : « La part des loyers encaissés qui se rapporte aux exercices à venir ne viendra plus, comme par le passé, abonder les recettes de fonctionnement de l’exercice au cours duquel les sommes ont été perçues des bailleurs sociaux. Cette part sera comptabilisée en section d’investissement ». 

Exemple (théorique)

Paris habitat paye en 2016 à la Ville de Paris une redevance actualisée de 80 millions d’euros, correspondant à l’actualisation de 20 annuités de loyers d’un immeuble destiné au logement social.

Avant 2016, la Ville de Paris aurait intégré (sans même se poser de questions) à son budget de fonctionnement 2016 une recette de 80 millions d’euros.

Après 2016, la ville de Paris aurait intégré à son budget de fonctionnement 2016 une recette de 4 millions d’euros (80 millions d’euros divisés par 20 annuités). Ce “changement d’écriture comptable”, pour reprendre l’expression de Paul Simondon, est tout sauf un détail d’écriture puisqu’il contraint la Ville de Paris à réduire ses dépenses de fonctionnement (comme le financement du tissu associatif par exemple) de 76 millions d’euros pour équilibrer son budget 2016 !

Malheureusement, ce retour à la raison comptable et intellectuelle n’aura vécu que le temps de sa rédaction et ne sera jamais appliqué.

Le Décret n°2015-1546 du 27 novembre 2015 du Gouvernement de Manuel Valls (Michel Sapin étant alors Ministre de l’Economie et des Finances et Christian Eckert Secrétaire d’Etat au Budget et aux Comptes Publics) est passé par là et a donné une définition très large de la capacité de reprise en recette du budget de fonctionnement d’un excédent d’investissement, rendant le bon sens comptable et la toute fraîche réglementation obsolètes. Le Décret n°2015-1546 précise même que la reprise « peut porter sur la totalité de l’excédent prévisionnel (au moment du vote du budget primitif), sous réserve d’obtenir l’autorisation des ministres concernés en raison de circonstances exceptionnelles et motivées ».

Le 30 novembre 2015, soit trois jours après la parution du Décret, l’exécutif de la Ville de Paris a donc pris sa plus belle plume pour présenter ces fameuses « circonstances exceptionnelles et motivées » et demander l’autorisation adéquate aux ministres concernés. Ces derniers se sont montrés extrêmement réactifs puisqu’ils ont accordé leur autorisation dès le 1er décembre 2015.

A titre anecdotique, il est intéressant de noter la récente intégration de l’ancien Secrétaire d’Etat Christian Eckert à l’équipe de campagne de la candidate Anne Hidalgo pour l’élection présidentielle de 2022. Il sera chargé du pôle thématique “Budget et Fiscalité”. Si l’on comprend bien les accointances qui ont permis à cette dérogation de devenir la norme sous la présidence de François Hollande, on est davantage étonné de constater que la présidence d’Emmanuel Macron n’ait pas changé la donne. Les ministres concernés des gouvernements d’Edouard Philippe et de Jean Castex ont tous depuis 2017 confirmé la dérogation accordée à la Ville de Paris.

Conclusion

La gestion de la dette de la Ville de Paris par la majorité d’Anne Hidalgo est l’histoire d’une fuite en avant. N’ayant plus les ressources d’assurer ni la gestion de ses dépenses courantes, ni ses promesses électorales d’investissements (rappelons que le Programme d’Investissement de la mandature actuelle n’est toujours pas publié), elle utilise le recours à l’endettement comme une porte de sortie. Ayant bénéficié d’une bienveillance politique du Président Hollande et, plus étonnamment, du Président Macron, Anne Hidalgo a habilement détourné l’esprit des règles de comptabilité publique.

Mais la situation est telle que l’on comprend bien que l’Exécutif national est en train de siffler la fin de la récréation.

Pour éviter que la menace de mise sous tutelle de la Ville de Paris ne se transforme en réalité, c’est environ 200 millions d’euros par an de recettes, historiquement apportés artificiellement par les loyers capitalisés, dont le budget de fonctionnement de Paris devra se priver pour être à l’équilibre dès 2023.

Anne Hidalgo et l’équipe municipale vont rapidement se retrouver au pied du mur et l’histoire est malheureusement déjà écrite : baisse des dépenses de fonctionnement (ce qui a commencé, comme cela a été dévoilé par la presse, en janvier 2022, avec la baisse de 15% du budget de fonctionnement de plusieurs services municipaux), non-respect des promesses (comme la mise en place d’une véritable police municipale), baisse des effectifs dans les services clés de l’entretien de la ville (comme les bûcherons et les jardiniers), et augmentation massive des impôts locaux (on peut imaginer que la Taxe Foncière sera la première visée). Il semble aujourd’hui évident que, avec ou sans Anne Hidalgo comme Maire de Paris, les prochaines années seront difficiles pour les Parisiens.


Mise à jour (03/01/2022) : vous pouvez retrouver notre dernier thread Twitter sur le rapport de la Cour des Comptes, et comment les élus de la majorité municipale parisienne l’ont interprété.

Vous pouvez également choisir de télécharger le rapport de la Cour des Comptes dans son intégralité ci dessous :


5 réflexions sur “La dette : radiographie d’une addiction parisienne”

  1. Ping : Anonyme

  2. selon le magazine Capital de février qui a analysé les comptes publiés non pas par la ville mais par Bercy, la dette véritable de Paris est non pas de 7 mais de 10 milliards d’euros, avec un déficit courant de 3 milliards.

  3. Excellente explication, merci !

    Une question : puisque ces loyers capitalisés portent sur 20 ans ou plus, la mairie ne peut donc pas demander à les renouveler chaque année. Il s’agit alors à chaque fois d’immeubles différents ?

    Merci de votre réponse

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