Cette tribune dédiée à la Tour Triangle que le site saccageparis.com est fier de présenter, a été rédigée par Antoine Boulant, historien français et secrétaire de rédaction pour l’association Sites et Monuments. Il est l’auteur de nombreux ouvrages d’Histoire relatifs à la fin de l’Ancien Régime, la révolution française et le 1er Empire.
Treize ans après avoir été dévoilé par Bertrand Delanoë et sa première adjointe Anne Hidalgo, après avoir obtenu le soutien d’un partenaire financier de taille (Axa IM Alts), le chantier de la Tour Triangle vient de démarrer au cœur du parc des Expositions de la porte de Versailles, les travaux étant susceptibles de s’achever en 2026. Ceux qui ont suivi avec attention ce délicat dossier – et ils sont nombreux – se souviennent qu’il a connu nombre de rebondissements.
D’abord refusé par le conseil de Paris en 2014, suite au combat courageusement mené par un collectif de riverains et d’associations, il a finalement été approuvé l’année suivante. En 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté les recours déposés par trois associations et huit conseillers de Paris contre le permis de construire, considérant qu’il n’était pas entaché d’illégalité, que l’étude d’impact était précise et que le permis respectait le plan local d’urbanisme. C’était sans compter sur le parquet national financier qui, en juin 2021, a ouvert une enquête préliminaire concernant des soupçons de favoritisme après une plainte déposée par l’association Anticor.
La Tour Triangle en quelques mots
Dessinée par les architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron – auteurs notamment de la Tate Modern à Londres, mais également d’un immeuble de six étages édifié à Paris rue des Suisses en 2000 –, la Tour Triangle appartient au groupe Unibail-Rodamco-Westfield qui souhaite y installer des bureaux, des salles de congrès, un hôtel, des commerces sur rue et des espaces accessibles au public.
Sa construction a été confiée à l’entreprise belge Besix, qui a notamment édifié la Burj Khalifa de Dubaï, la plus haute tour du monde à ce jour. Formant une « pyramide irrégulière à base trapézoïdale », essentiellement composée de béton, de verre et d’aluminium et présentant des terrasses végétalisées sur sa façade nord, la tour comportera 42 étages sur une hauteur totale de 180 mètres, ce qui fera d’elle le troisième édifice le plus élevé de la capitale après la tour Eiffel (324 mètres) et la tour Montparnasse (210 mètres).
Une tour faussement écologique
Passons rapidement sur la dimension écologique du projet, enjeu de première importance mais qui a déjà nourri l’essentiel des débats. On rappellera que, compte tenu des matériaux qui la composent, le bilan carbone de la construction d’une tour est toujours désastreux. Jacques Herzog et Pierre de Meuron mettent toutefois en avant les innovations techniques de leur réalisation, évoquant ainsi les « façades bioclimatiques » destinées à limiter l’apport de chaleur, les panneaux photovoltaïques installés sur les toitures ou la réinjection de l’énergie générée par les ascenseurs dans le réseau électrique. Un jardin public de 8 000 m2 doit être planté le long du boulevard Victor, tandis que seront aménagées près de neuf cents places de stationnement de vélos afin d’encourager les « circulations douces ».
Une tour qui va briser les plus belles perspectives parisiennes
L’impact visuel de la Tour Triangle dans le paysage parisien nous intéressera ici davantage. Non seulement le bâtiment écrasera de sa hauteur les immeubles environnants, mais sa pointe sera nettement visible d’un grand nombre de lieux, notamment de la place de la Concorde. Déjà gâchée par la tour Montparnasse – qui, rappelons-le au passage, doit prochainement être surélevée de 20 mètres –, la somptueuse perspective de l’esplanade des Invalides sera abîmée une seconde fois.
On demeure interloqué en découvrant les attendus du jugement du tribunal administratif de mai 2019, qui précisent qu’« il n’apparaît pas, nonobstant son caractère de grande hauteur et des débats qui ont pu en découler lors de l’enquête publique, que le projet en litige serait de nature à porter atteinte de nature excessive aux paysages urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales des lieux avoisinants ».
À quoi bon classer des monuments et créer des périmètres de protection s’ils sont impactés par des bâtiments de grande hauteur édifiés à plusieurs kilomètres, lorsque cet impact est visible de la rue ? Cela n’empêche pourtant pas Emmanuel Grégoire d’estimer que le projet « s’intègrera parfaitement dans le tissu urbain parisien de la porte de Versailles », ni le magazine Ideat d’affirmer que la tour « a été pensée pour se fondre dans le paysage parisien qui, grâce à ses mille et une plaques de verre, reflète le paysage qui l’entoure ». La façade de la Samaritaine récemment édifiée sur la rue de Rivoli, elle aussi censée refléter les immeubles qui lui font face, n’incite guère à l’optimisme.
Le retour en force de la politique des tours – 60 ans après le massacre pompidolien
Au-delà de la rupture esthétique introduite par la Tour Triangle, celle-ci s’insère dans un contexte de multiplication des gratte-ciels qui, depuis des décennies et dans le monde entier, contribuent à l’uniformisation du paysage urbain et à l’effacement d’une part essentielle des identités nationales.
Le Grand Paris est aujourd’hui la métropole d’Europe qui possède le plus de tours, et l’on ne compte plus le nombre de celles qui ont été érigées dans la capitale depuis les années 1960, de la tour Montparnasse à la tour Zamanski en passant par les immeubles des quartiers Olympiades, Italie et Beaugrenelle ou, plus récemment, le nouveau tribunal judiciaire et les désolantes tours Duo érigées par Jean Nouvel – que l’on a connu nettement plus inspiré et qui ne semble pas avoir eu honte d’évoquer sa sensibilité à la « délicatesse » du patrimoine parisien.
Alors que les habitants des grandes agglomérations n’ont de cesse de réclamer un urbanisme à visage humain, alors qu’une concertation conduite en 2005 concluait au rejet des tours par une majorité de la population parisienne, et tandis que nombre d’architectes de renom s’opposent à la construction de gratte-ciels, une désespérante politique de fuite en avant semble primer dans les bureaux de l’Hôtel de Ville, comme le confirme le projet de bâtir un immeuble de 190 mètres de hauteur – soit 10 mètres de plus que la Tour Triangle – sur la ZAC Charenton-Bercy.
Fausse modernité, harmonie abîmée
Les défenseurs de la Tour Triangle n’auront de cesse de souligner que « Paris doit évoluer », citant la beauté des tours de Manhattan ou de Dubaï tout en arguant que la modernité a, de tout temps, été combattue par les adversaires du progrès. C’est d’abord oublier que ces villes ont toujours été composées de gratte-ciels, constitutifs de leur identité – le premier building new-yorkais a été édifié en 1889.
On peut sérieusement douter que Paris ait réellement besoin de ce type de bâtiment pour se réinventer, et il est aisé de constater que si les touristes se pressent en nombre dans les quartiers et les monuments anciens, ils ne sont guère nombreux à venir admirer la tour Albert, pourtant protégée au titre des monuments historiques mais achevée en… 1961.
C’est ensuite négliger que l’architecture de l’après-guerre a constitué une véritable révolution dans l’art de bâtir, introduisant des gabarits, des formes, des ornements et des matériaux en rupture complète avec ceux qui étaient en usage depuis des siècles. Si les immeubles édifiés sous le Second Empire à la suite des grandes percées haussmanniennes ont pu apparaître « modernes » à leurs contemporains, il n’en demeure pas moins que leur volume, le traitement de leurs façades – balcons, corniches, pilastres, frises ou frontons – et l’utilisation systématique de la pierre étaient la garantie d’une intégration harmonieuse dans le tissu urbain préexistant. Un grand nombre de bâtiments contemporains, récemment édifiés dans Paris par des architectes scrupuleux, nous rappellent d’ailleurs que la modernité n’est pas nécessairement incompatible avec le respect du bâti ancien et des perspectives environnantes.
Telle n’est malheureusement pas le cas de la Tour Triangle, bientôt appelée à devenir l’un des plus tristes symboles d’une municipalité définitivement réfractaire aux concepts d’harmonie et d’esthétique urbaine.
Antoine Boulant
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Ces tours sont horribles, Paris devient horrible – dans certains quartiers on se croirait dans une ville de l ex Allemagne de l est avec des séparateurs en béton sur la chaussée, les bornes jaunes, les bancs ignobles et sales, les travaux partout qui durent des mois et des mois. J adorais me balader dans Paris, c est devenu infernal pour un piéton.
Pas assez d arbres pas assez de jardins pas assez de vert.
Je suis allé il y a peu sur la place de la république : mais c est une horreur ! Où est passé la belle fontaine du 19eme ? Les quelques bosquets étaient un peu miteux mais c est tjs mieux que cette esplanade vide, bétonnée qui doit être un vrai four des l été : je croyais qu il fallait tenir compte du changement climatique dans la façon d aménager les villes ?! Ben c est réussi tiens !
Une parisienne dégoûtée qui n attend qu une chose : se barrer !
Cdt
Bonjour,
Article très intéressant, 2 questions me viennent à l’esprit.
Comment va réagir l’UNESCO si la tour est construite ?, je suppose que la mairie de Paris prépare surement un tour de passe passe (avec l’appui de personnes influentes) pour minimiser ces problèmes de perspectives, mais personne en parle pour le moment.
L’autre question plus terre à terre concerne A. Hidalgo qui prône dans sa campagne électorale sa fibre écologique, pourquoi les journalistes ne lui posent pas cette question : peut-on être écologiste et faire construire un tour de 180m de haut ?