La déconstruction des jardins parisiens

Les jardins à Paris ou comment faire entrer la nature dans la ville

Photo principale article : @Aliocha

L’importance des jardins dans une ville aussi dense que Paris est primordiale. Et contrairement à Londres, Paris n’est pas une ville composée de grands parcs et jardins. Pourtant, la situation s’est tout de même améliorée depuis le XVIIIe siècle.

Lorsqu’au Second empire, Napoléon III nomme Adolphe Alphand comme ingénieur en charge des promenades et jardins de Paris, celui-ci va développer une véritable continuité de la nature en ville.

L’objectif ? Que chaque quartier puisse jouir d’espaces verts à proximité de chez soi. Une idée qu’Anne Hidalgo et ses équipes tentent de s’approprier. Cependant, l’ambition d’hier ne ressemble en rien aux réalités d’aujourd’hui : dé-densification, végétalisation, et embellissement de la ville, ces actes avaient une vraie portée à l’époque.

Le modèle alphandien de la ville est un modèle très normé avec des triptyques parfaitement identifiés: place, boulevard, jardin, de façon à enchaîner des séquences et des perspectives autour de points de repères. Plus qu’un modèle, c’est tout un système de ville.

C’est ainsi que de nombreux squares, jardins et parcs ont été développés (ou réaménagés) à cette époque-là : Parc Montsouris, Buttes-Chaumont, Parc Monceau, mais également les petits squares de quartier (Montholon, Arts et Métiers, Temple, Batignolles, Tour Saint Jacques, Ranelagh…).

Ces espaces verts jouent également un rôle social voire sociétal : jusqu’alors les jardins étaient souvent réservés aux classes sociales les plus élevées, Napoléon III veut des jardins publics, où tout le monde peut se promener. C’est le même modèle qui s’est développé pour l’aménagement des rues : grilles, bancs, candélabres, fontaines ornementales… L’embellissement de la ville ne se résume pas à la construction de monuments pour architectes égotiques, c’est également l’accès de tous à une ville plus verte et plus belle.

Lorsque, dans le parc des Buttes-Chaumont, Barillet-Deschamps installe des cascades, des pelouses alpestres, des grottes (autant de paysages qui résument le pittoresque de notre pays que seule une petite classe fortunée pouvait aller visiter), c’est aussi afin de dépayser les masses laborieuses parisiennes, de leur donner le goût du « dépaysement » dans un pays qui, à l’époque, ne connaissait pas encore les vacances ni les congés payés.

Sources : Alphand, Les Promenades de Paris
Jardins-Alphand-Les Promenades de Paris - Google Earth
Sources : Alphand, Les Promenades de Paris – Google Earth

Les jardins occupent également un rôle hygiéniste très important à une époque où les crises sanitaires s’enchaînent et que l’insalubrité parisienne est réputée dans le monde entier. A la même époque, à Londres, Edwin Chadwick y explique même, devant le General Board of Health, que les parcs sont la meilleure solution pour éviter l’alcoolisme au sein des populations prolétaires de Londres !

Derrière les parcs, il y a l’invention remarquable d’un espace public de qualité, réglementé et homogène. Ce travail initié par Alphand sera poursuivi entre autres par Forestier (Champ de Mars) et Hénard (à l’origine des squares et jardins de la petite ceinture).

Après la Seconde Guerre mondiale et sous l’influence de l’américanisation de la société, la politique des bâtiments usines et du véhicule individuel s’est développée et a eu un impact négatif sur la ville : parkings dans les jardins, réduction des trottoirs et espaces libres, densification, bétonisation des sols et politique des espaces verts au rabais…

A la fin des années 70, J. Chirac crée la direction des parcs, jardins et espaces verts et décide de doubler les budgets initialement alloués à ce sujet. Guy Surand en charge de cette direction permet alors une augmentation de 40 % de la surface verte à Paris, la création de 141 hectares de jardins et promenades en 20 ans. Au-delà de la création de nouveaux espaces verts (La Villette, André Citroën, Bercy, Les Halles, George Brassens).

Surand décrit la situation des “vieux jardins” de Napoléon III. Ils “vont mal, les terres sont épuisées, appauvries. Il y a des choses à reprendre dans tous les anciens parcs. Certains jardins ne sont pas solides. Aux Buttes-Chaumont nous sommes en train d’ancrer la falaise”.

L’histoire est un éternel recommencement. 30 ans après l’ère Surand, l’abandon des jardins est de nouveau d’actualité… Dans une des métropoles les moins vertes du monde, et par une mairie qui se prétend écologiste et le crie à qui veut bien l’entendre. Un comble.

https://twitter.com/anne_hidalgo/status/1304125368371208192

Regardons en détail les raisons pour lesquelles Paris abandonne ses espaces verts.


1. Un combat idéologique

Tout commence par une réécriture de l’histoire. La mairie de Paris présente une vision obscure de l’ère haussmannienne. Plutôt que de rappeler le verdissement historique de la ville, une politique sanitaire essentielle (création de corridors de respiration, création des égouts entre autres), une politique sociale, elle dresse le portrait d’une nature brimée qui ne pourrait s’exprimer tant le pouvoir en place l’enferme…

La campagne de Paris en Commun en 2020 s’est d’ailleurs appuyée sur cette idéologie de la libération de la nature, du sauvage. Car si la nature est enfermée, il faut la libérer. Le combat est là, si la ville est aussi minérale c’est parce qu’on restreint le développement de la nature “spontanée”. On atteint même des sommets avec le concept de “rues comestibles”…

Alors que les incivilités et l’insalubrité règnent en maîtres à nouveau dans beaucoup de quartiers parisiens, la ville ne trouve rien de plus absurde que de promouvoir la consommation de mauvaises herbes…

C’est dans ce contexte idéologique que le mandat 2014 d’Anne Hidalgo a amorcé un virage radical dans la gestion des espaces verts, terrassant en quelques décisions absconses un travail amorcé il y a plus de 150 ans.

“Potager de rue” créé devant le jardin Majorelle dans le 11e. Etat en 2018
“Potager de rue” créé devant le jardin Majorelle dans le 11e. Etat en 2021.

2. Des effectifs insuffisants

Alors que la Mairie communique à tout va sur la ville-jardin, la création de dizaines (centaines ?) d’hectares d’espaces verts, sur la ville résiliente et apaisée, on constate dans les faits que la vérité est tout autre. D’abord, les effectifs. Le journal Challenges a rappelé en octobre 2021 que le nombre de jardiniers a baissé à Paris de plus de 10 % en cinq ans (2014-2019) passant de 1219 à 1095. Une réduction effrayante quand elle est rapportée aux opérations de végétalisation (!) de la rue en augmentation qui s’ajoutent à l’entretien de l’existant.

Même chose pour le nombre de bûcherons, métier si essentiel pour la santé des arbres des promenades et jardins parisiens: alors que le nombre nécessaire serait de 200, l’effectif actuel est seulement de 130.

Totalement insuffisant pour planter, couper, élaguer, entretenir un parc arboricole particulièrement soumis aux chantiers et travaux incessants de voirie.

Et cela se ressent d’ailleurs sur le nombre d’arbres abattus chaque année. Ces dernières années, on se rapproche dangereusement des 2 % du parc abattu, un chiffre qui surtout s’éloigne des standards des grandes villes internationales (qui tournent plutôt autour de 1 %). Un chiffre qui devrait alerter, tant les grands arbres matures sont essentiels en ville.

La Ville jure vouloir recruter désormais (après des années à ne pas l’avoir vraiment fait), mais elle peine à trouver des agents. Pire, pour compenser des effectifs à l’agonie, elle est obligée de passer par du contrat précaire sans concours… ou de faire appel à des cantonniers normalement en charge de l’entretien des chemins, des fossés et talus. On marche sur la tête.

Des métiers éprouvants physiquement que la Mairie ne valorise pas vraiment (environ 1.500 euros net mensuels) et qui ne permettent évidemment pas aux agents de vivre dans la capitale. Très loin de la ville du quart d’heure, où chacun vivrait à quinze minutes de son domicile, si chère au nouveau gourou de la Mairie, Carlos Moreno…

Dans la plupart des squares parisiens, des arbres abattus, souvent depuis des années, et pas renouvelés…

Square Cavaillé-Col dans le 10e, après la destruction de la végétation

Ce jardin classé monument historique est désormais cogéré par l’association Emmaüs.

3. Une absence d’entretien de fond alarmante et dénoncée

Au-delà du manque d’effectifs, la conséquence de l’absence d’entretien régulier est immédiate. Les victimes collatérales sont les espaces verts eux-mêmes.

Même les jardins en apparence les mieux entretenus de la ville comme les Buttes-Chaumont sont en péril faute d’entretien de fond.

Comme l’a rappelé Le Parisien en août 2021, un rapport du Bureau de recherches géologiques et minières a mis en évidence une dégradation globale du décor merveilleux dessiné par Alphand sous le Second Empire.

Un jardin fréquenté par des millions de personnes chaque année et qui aujourd’hui voit une fermeture continue de certains de ses secteurs. Le belvédère de Sibylle est la dernière victime en date.

Et dire que ce jardin avait fait l’objet de 3 ans de travaux et 15 millions d’euros d’investissement entre 2013 et 2016 (mobilier flambant, allées refaites, pelouses restaurées…).

Autre exemple récent, le jardin d’agronomie tropicale, situé dans le 12e arrondissement. Ce jardin créé en 1907 a été classé en 1960. Le temple indochinois a été inscrit monument historique en 1965 et tous les autres bâtiments du lieu l’ont été en 1994.

D’abord jardin d’essai, il devient un véritable espace vert lors du rachat par la mairie de Paris en 2003. Alors en état de détérioration alarmant, ce site de 6,5 ha (ce qui en fait l’un des plus grands jardins de tout Paris) est partiellement réhabilité : deux pavillons sont restaurés.

Mais depuis c’est surtout l’abandon. Les bâtiments se dégradent un à un, les espaces verts également, on observe une accumulation de tags et de saletés. Un délabrement qui interroge tant ce lieu est un poumon vert pour la ville. Difficile de ne pas imaginer que la Ville n’assume pas d’entretenir un lieu chargé d’une histoire importante. Certains ont même pu parler de “cancel patrimoine”…

Il y a encore quelques jardins gérés par la Ville qui sont bien entretenus (Arts et Métiers, Temple, Montsouris, Batignolles par exemple) mais ils font de plus en plus office d’exceptions à Paris. L’arbre qui cache la forêt (urbaine).

4. La disparition des gardiens ou la transformation en zones de squats

Tous ceux qui ont grandi à Paris ont gardé le souvenir du gardien (ou de la gardienne) de square à l’affût de tout comportement irrespectueux.

Le jardin est avant tout un lieu familial et parfois sportif, de détente, de promenade et de jeux pour les enfants. C’est un endroit où l’on veut se sentir en sécurité.

Et pourtant, les parcs et jardins de Paris gérés par la Ville se sont vus petit à petit privés de leurs gardiens. Des espaces verts livrés à eux-mêmes. Et de livrés à eux-même à la loi de la jungle, il n’y a qu’un pas. Les jardins non surveillés sont devenus pour certains des zones de squat voire de deal dans quelques endroits, confisquant dans la pratique ces espaces à ceux à qui ils étaient destinés

Ce phénomène est particulièrement notable dans certains jardins du nord-est de Paris.

La Mairie, qui pendant des années a tenté de nier le problème, a par la suite expliqué que la “future” police municipale serait chargée d’assurer la sécurité des jardins. Dans les faits, rien n’a changé depuis et de plus en plus de surface verte se voit être confisquée aux Parisiens faute de véritable action d’une mairie dépassée et sans volonté d’agir.

L’enchaînement a été terrible : de nombreux squares sont devenus malfamés, lieux de stagnation exclusivement masculine, de deal, et servant de toilettes publiques. L’absence de régulation a favorisé toutes les incivilités, jusqu’à provoquer l’insalubrité avec une prolifération incontrôlable de rats. Pour d’autres raisons, on se souviendra longtemps que la mairie de Paris est allée jusqu’à consacrer le « fameux » jardin d’Eole au trafic et à la consommation du Crack pendant six mois en 2021.

Face à cela, la Mairie a commencé à réagir, trop tard, en fermant des squares, d’abord un, puis deux, puis des dizaines, pour dératisation. Plusieurs n’ont jamais rouvert et ont été privatisés au profit d’associations “amies”. Au bout de quelques années, la Mairie s’est résolue à frapper fort : elle a mis des panneaux “stop aux rats” à l’entrée des espaces verts… Parallèlement, elle a décidé d’adapter les squares les plus concernés à ces nouvelles pratiques, en les remaniant et en supprimant les jeux pour enfants.

Bilan plus que prévisible, en dépit d’investissements considérables (1,5 millions d’euros pour le square Louise de Marillac), c’est pire qu’avant, et les squares entièrement rénovés sont ravagés et doivent à nouveau fermer.

5. Le jardin “retour à la nature” ou l’idéologie éco-pathétique

Cette nouvelle gestion des espaces verts se présente abusivement comme une gestion différenciée des espaces verts (comme cela peut être bien fait au parc André Citroën et son “jardin en mouvement”). Comprendre, qu’au lieu d’entretenir régulièrement les espaces, on les laisse se développer comme ils l’entendent. Non non, on ne parle pas ici d’un abandon du lieu mais d’une “prairie”. Adieu les jolies pelouses entretenues, bienvenue les touffes d’herbes, repère préféré des rats et des corneilles, notre patrimoine animalier parisien.

Le retour à la nature et à la biodiversité c’est surtout une réalité que nos élus “écolos” ne veulent pas entendre : la nature en ville c’est précaire, instable, non durable sans la main de l’humain. Et lorsqu’on laisse la nature “reprendre ses droits” elle le fait savoir immédiatement…

Places de la Nation et de la Bastille. Les trous sont des terriers de rats. Photo : @Arnold50001
Places de la Nation et de la Bastille. Les trous sont des terriers de rats. Photo : @JCQDSE

Le pire de tout, d’un point de vue écologique, c’est la destruction systématique, au fil des ans, des haies et de la petite végétation, c’est-à-dire de ces espaces très agréables à l’œil, mais aussi les plus favorables à la biodiversité. On peut deviner que cet immense saccage silencieux a plusieurs raisons :

  • L’entretien : les haies, les petits arbustes, demandent à être régulièrement taillés et entretenus. Les services de la Ville n’ont plus les moyens de le faire, et la mairie n’en n’a aucune envie ;
  • L’idée générale est d’adapter la ville aux incivilités et “mésusages”, plutôt que lutter contre. Or ces petits taillis dissimulent la vue, ce qui offre un paravent aux dealers par exemple, parfois un refuge pour les SDF, et quand l’endroit devient insalubre, un abri pour les rats.
Square Alain Bashung (18e), avant élimination des plantes qui coupaient la vue entre le jardin et la rue.
Square Alain Bashung (18e), près : élimination des plantes qui coupaient la vue entre le jardin et la rue.

Donc, finie la verdure, place aux champs de copeaux, qui progressivement envahissent tous les espaces verts de la ville…

6. Déconstruire le jardin

Ce qui frappe avec la politique actuelle menée par la Mairie, c’est cette faculté à déclasser les véritables professionnels au profit des amateurs.

On a pu le voir de façon très frappante sur les questions d’urbanisme où la Ville, que ce soit sous J.-L. Missika ou E. Grégoire, n’hésite pas à confier des opérations d’urbanisme d’envergure à des collectifs qui ressemblent plus à des équipes de BDE qu’à des véritables cabinets d’urbanisme.

Le collectif ETC et les Monumentales (Cities and Gender) ont ainsi pu massacrer l’esthétique du parvis du Panthéon (jadis dédié à du stationnement automobile, remplacé en partie par du stationnement moto et vélo), en empilant les choix de mauvais goût.

Pour le jardin c’est presque pire. Le discours de la Ville laisse croire que tout le monde peut jardiner à Paris. Comprendre que les jardiniers diplômés de la ville valent autant que vous et moi dès lors que l’on a un rateau et des graines entre les mains.

Et c’est ainsi que le jardinage participatif jadis limité à des espaces semi-privatifs, séparés des vrais jardins, a fait son entrée dans l’espace public.

La ville est à vous, la rue est à vous, faîtes en ce que vous voulez tant que c’est festif, participatif, inclusif, et tous les trucs en if…

Or on oublie que les jardins, la vision paysagère c’est avant tout un art, un travail minutieux, une histoire, un équilibre fragile. Mme Hidalgo et ses équipes ne connaissant rien au sujet, préfèrent croire que la nature en ville est une activité, un passe-temps, et que de toutes façons, “ça poussera tout seul”, comme par magie…

Mais, déconstruire le jardin ne se limite pas à humilier les professionnels. Il s’agit également de “cancel” (annuler) les apparats du jardin pour en faire quelque chose de moins “suprémaciste blanc tendance ku-kux-klan”, comme le diraient certains.

Tout d’abord ses grilles. Historiquement, le parc ou jardin parisien a toujours été séparé de la ville par des grilles. Des grilles qui permettaient de délimiter facilement la frontière entre la ville et la nature, entre le bruit et le calme, entre la pollution et l’air frais. Bref, ces grilles ne sont pas là uniquement pour faire joli même si les ouvrages réalisés, dans beaucoup de lieux, contribuent à l’esthétique globale.

La mairie de Paris voit la grille comme une entrave à la liberté et c’est ainsi que les nouveaux petits espaces se voient délestés de leur fardeau : Jardin du père Teilhard de Chardin, Jardin Truillot, Port de l’Arsenal, etc. Vivent les espaces ouverts, 24h/24, sans limite, une vraie ville jardin (!). Et tant pis si ce jardin n’est plus une oasis dans une ville qui ne s’arrête jamais de tourner, tant pis si le jardin doit être soumis aux nuisances extérieures, tant pis si les riverains s’en plaignent, car derrière c’est le triomphe d’une idéologie qui est en jeu.

Dans les nouveaux jardins, l’esthétique n’est plus la priorité. Ils ont essentiellement un objectif d’usage. Qu’importe la manière, pourvu qu’ils servent, et servent à des activités ludiques. Comme si la beauté était contraire à l’appropriation par les habitants, alors que les jardins les plus classiques de Paris, le Luxembourg et les Tuileries, sont aussi ceux qui sont les plus populaires auprès des Parisiens.

A partir de cet étrange postulat, la Ville se permet d’autoriser les dessins paysagers les moins intéressants jamais imaginés : Jardin des Petites Rigoles, un alignement de troncs d’arbres posés par terre et une forêt terrain vague ; le Jardin Truillot, mélange de moquettes, d’agriculture urbaine et de rondins de bois ; ou encore le Jardin Nelson Mandela aux Halles, ôde au béton, au mobilier urbain digne d’un centre pénitentiaire…

Dans l’imaginaire collectif, un jardin est accompagné d’un plan d’eau. Qu’il s’agisse d’une rivière, d’un lac, d’une fontaine, d’un bassin, il est souvent le lieu de ralliement de toutes et tous et en particulier les enfants, souvent subjugués.

Avec A. Hidalgo, cela aussi c’est du passé. Au diable ces vulgaires fontaines, vivent les miroirs d’eau ou les mares pleines de boue. Et pas uniquement sur des zones dites minérales : République, Italie, Les Halles, trois lieux que le PLU classe comme Zone Urbaine Verte ou comme jardin. Trois lieux qui avaient chacun des fontaines et que la Maire a cru bon de supprimer.

A la mairie de Paris, on n’hésite même pas à parler de jardin lorsqu’il n’y en a pas, ou plus. Ça compte dans les petits calculs de la mairie pour parler de Paris, “ville la plus verte d’Europe”.

Ainsi, Anne Hidalgo comptabilise les quais de Seine comme un parc alors qu’elle n’y a jamais rien planté depuis 2014 (au mieux une pelouse aussitôt supprimée et des containers buvettes rinçant son électorat), et qu’ils demeurent une route bitumée, comme au temps où ils étaient une voie rapide.

Même chose pour le jardin Beltrame inauguré en 2020. Il s’agit en réalité d’une belle restauration de la caserne des Minimes et absolument pas d’un jardin. Toute la surface est minérale à l’exception de ces beaux alignements d’arbres. Encore une démonstration que la communication vaut toujours plus que des réalisations.

La disparition des fleurs est un autre phénomène notable. Probablement ce qu’il y a de plus fragile dans un jardin et par conséquent ce qui demande le plus d’attention et de moyens. On a pu le noter à peu près partout dans la ville, la fleur est en voie de disparition : rond-point des Champs-Elysées, jardin des Halles, Nation, petits espaces verts. Chaque année, on rogne un peu plus sur les budgets alloués et les pelouses se limitent alors à elles-mêmes. Et puis une pelouse sans fleurs, c’est une pelouse sur laquelle on peut marcher…

Place de la Nation, près remodelage
Place de la Nation, avant remodelage
Porte de La Chapelle, avant restructuration. Photo @CapuanoCyrille
Place de La Chapelle, après restructuration

Paradoxalement, toutes les transformations et réinventions de jardin entreprises par l’équipe d’Anne Hidalgo mènent à une réduction du rôle d’îlots de fraîcheur qu’apportent normalement ces espaces verts.

7. L’ouverture généralisée des pelouses

Les espaces verts sont des espaces fragiles et en particulier en ville. Ils demandent un travail minutieux dans tout le cycle de vie des espèces présentes : plantation, entretien, remplacement. Et les sols particulièrement difficiles dans une ville aussi dense que Paris ne permettent pas l’à peu près.

Longtemps ces espaces ont été des espaces protégés, des lieux d’agrément fermés que les promeneurs pouvaient contempler en se baladant dans les allées des jardins. Ces espaces étaient également un refuge pour les oiseaux et la faible biodiversité qui coexiste en ville.

Pour les pelouses, jusqu’en 2001, environ 50 % étaient accessibles. Le plus souvent en alternance au sein d’un même jardin afin de permettre leur régénération d’une période à l’autre. A l’arrivée de Bertrand Delanoë aux commandes de Paris, il y eut un véritable changement de paradigme insufflé par EELV. Sa grande idée c’était de dire “toutes les pelouses doivent pouvoir être ouvertes”.

L’idée est noble et évidemment populaire. Trop populaire évidemment, voire populiste. Les espaces verts à Paris sont rares et les riverains s’y précipitent. Si la pelouse peut supporter un piétinement modéré, elle subit surtout les activités sportives en tout genre (comment pourrait-il en être autrement ?) et les incivilités chroniques des Parisiens laissant derrière eux leurs déchets. Et puisqu’il n’y a plus de gardiens dans les squares et jardins, impossible de lutter contre les excès et dérives.

Les premières victimes ? Des pelouses usées, saturées qui chaque année peinent un peu plus à se renouveler tant la végétation et la terre ont été soumises à rude épreuve. Et quand la mairie n’arrive plus à les entretenir… elle les supprime. Quitte à les remplacer par de la moquette en plastique…Tant que c’est vert, ça compte non ?

Square Garcia Lorca – 2017. Photo : @Anne_Hidalgo
Square Garcia Lorca – 2021.Photo : @Baptiste75004

8. L’espace vert en béton

Désormais, quand la mairie crée un nouvel espace vert, ne vous attendez pas à un vrai espace vert, champêtre, dépaysant. Oh non ! Avec la ville jardin, les espaces verts sont des espaces hybrides, mi pelouses abandonnées, mi allées de béton. Tout le reste passe aux oubliettes, à de rares exceptions près.

Place d’Italie, avant rénovation
Place d’Italie, après rénovation (remarquez l’augmentation des espaces minéralisés et imperméabilisés).

Le jardin des Halles est un exemple assez symbolique. Lorsque la Mairie décide de réinventer le quartier des Halles au début des années 2000, il y a deux enjeux. Le premier, commercial (brader le quartier à Unibail pour en faire un centre commercial), a plutôt été réussi. Le deuxième était d’ordre urbanistique : marquer son empreinte dans la ville pour B. Delanoë, tout en améliorant la sécurité du quartier soumis à des problèmes de délinquance et violence.

Bilan, le projet choisi est un combo “canopée” (lol) de béton et jardin de béton. Une surface verte drastiquement réduite, un jardin pour enfants rasé, des serres tropicales supprimées, des centaines d’arbres matures coupés (pour beaucoup remplacés par des pots), des pelouses entretenues troquées par une prairie à corneilles et le comble de tout : l’insécurité du lieu est à nouveau dénoncée (mais entre-temps, il n’y a plus de commissariat aux Halles).

Le jardin Satragne a été rénové en 2019/2020, par la toujours très inspirée mairie du 10e. Ce square jadis fleuri et vert a vu sa surface globale augmenter, proportionnellement à la réduction de ses espaces effectivement verts. Sols en béton, espaces pique-nique dignes d’une aire d’autoroute, suppression des haies au profit de “salades”, un beau saccage esthétique dont la mairie s’est félicitée en 2019.

Fort d’une gestion sans faille, la mairie a été obligée de refermer le square et d’y refaire des travaux importants seulement deux ans après sa réouverture. Un fiasco parmi les autres.

9. La cruelle comparaison avec les jardins gérés par l’État

“Toutefois, sept jardins ne sont pas gérés par la Ville : les jardins des Tuileries et du Louvre, le jardin du Palais-Royal, le jardin des Plantes, le jardin du Luxembourg, le parc de la Villette et le jardin d’Acclimatation, qui tombent dans le giron de l’État.”

Ces quelques lignes proviennent du site de la ville de Paris et expliquent bien pourquoi les Parisiens s’étonnent de plus en plus du décalage phénoménal entre ces jardins et ceux gérés par la ville. Tous ces jardins ont su conserver leur stature d’antan, leur esthétique singulière, tout en y développant des activités d’usage : présence de jardiniers en nombre, gardiens, propreté impeccable, pelouses préservées, cohérence globale de la gestion du site, mobilier urbain esthétique et présence de jeux d’eau.

D’aucuns rétorqueront que les budgets ne sont pas les mêmes, que les usages sont différents. Mais à Paris, les jardins sont publics et les espaces verts sont rares. Dans un contexte de réchauffement climatique, ne serait-il pas judicieux d’investir massivement dans la préservation de ces lieux plutôt que dans la construction de tours et la bétonisation des sols ?

Square Renoir, 207 rue Raymond Losserand, 2015 avant sa complète restructuration.
Square Renoir, 207 rue Raymond Losserand, 2021, après sa complète restructuration.

En conclusion, on voit comment la dégradation des jardins, la baisse de la qualité de la vie dans la Capitale, et la diminution de sa capacité de résilience face aux enjeux écologiques, forment un tout. Loin d’être une succession de hasards ou de “bugs”, cela découle directement, inéluctablement, de choix municipaux. Des choix qui sont dictés par des positions strictement idéologiques, particulièrement fantaisistes et irresponsables. Le problème est que nous commençons seulement à voir les effets de ces choix, et que restaurer nos espaces verts sera un travail difficile, coûteux et de longue haleine.

On peut craindre le pire pour les réinventions à venir : “végétalisation” du Champ-de-Mars de Forestier, un nouvel “écrin” pour le Square Jean XXIII créé par le préfet Rambuteau et un “jardin extraordinaire » pour les espaces verts des Champs-Elysées dessinés par Alphand… Des jardins patrimoniaux que la Maire pourrait faire disparaître à jamais contre l’avis des Parisiens, des élus locaux et de l’ensemble des associations de défense du patrimoine et de l’environnement.

Champs de Mars, 2021, un jardin laissé à l’abandon. Photo : @amischamps2mars
Champs de Mars, 2022, un jardin laissé à l’abandon. Photo : @villelumiere5

13 réflexions sur “La déconstruction des jardins parisiens”

  1. Excellent reportage très réel et bien argumenté. Je compléterai en disant que les expositions universelles de 1870 et surtout 1900 ont apporté un essor des jardins à VOIR Le Parc de la Villette est entretenu par l’État. L’élection du Maire de Paris Jacques Chirac et surtout la nomination de Guy Surand ont vraiment donné un coup d’accélérateur à la création de beaux espaces fleuris sans distinction des tendances politiques des maires d’arrondissement. De jardins fleuris à voir, à contempler et à respecter, depuis B.Delanoe, ils sont devenus des jardins à VIVRE. La 4ème pièce de l’appartement pour fêter un anniversaire ou boire un apéro entre amis. Ensuite, avec Anne Hidalgo c’est devenu n’importe quoi au titre de la biodiversité et du jardin partagé. De plus les adjoints chargés des espaces verts ont plutôt été des voies de garage pour des gens politiques qui n’ont pas ou peu de sensibilité environnementale. Des laboratoires d’expérimentations et de communications démagogiques. On le sait un jardin coûte cher donc plus de gardiens, moins de jardiniers, moins de bûcherons, plus de plantes bulbeuses, plus de fleurs, des prairies qui se transforment en terre battue. L’organisation d’événements et les constructions sur le Parc du Champ de Mars est un révélateur du manque de respect pour l’Espace Vert. Bref un échec total.
    Entré à la « Ville de Paris » en 1974, alors dépendant de la Préfecture, j’ai travaillé près de 40 ans dans les parcs et jardins de la Mairie de Paris de 1976. Cela se décompose en poste d’encadrant pendant 3 ans dans les 5 et 6ème arrondissements, 6 ans dans l’ entretien et l’embellissement de tous les cimetières parisiens intra et extra muros, 6 ans à la tête du Trocadéro et ses jardins satellites, 8 ans dans le service aménagement pour la création et la réhabilitation de jardins et de bâtiments en rapport avec les espaces verts, 6 ans à la tête de l’entretien et la valorisation du parc du Champs de Mars, 3 ans à la gestion technique du 19eme arrondissement puis 4 ans pour les 5,6,7eme.
    Mon savoir et ma connaissance du terrain m’ont permis d’apprécier les différentes étapes qui m’amènent à dire et à penser que la politique menée actuellement en matière d’espaces verts est néfaste pour la ville, pour les parisiens dont je fais partie, pour les banlieusards et pour les touristes.

  2. Comment dire la consternation qui est la mienne quand je vois l’état des pelouses du Parc Monceau
    Elles ont été pendant de nombreuses années interdites mais aujourd’hui tout le monde peut s’y prélasser et les chiens s’en donnent à cœur joie
    Même celles qui sont provisoirement interdites pour qu’elles puissent se rétablir sont envahies car aucun gardien n’est là pour veiller au respect des règles
    Ce parc est une merveille et tous ceux qui l’aiment sont malheureux de voir que petit à petit il se dégrade
    Un peu de respect des règles de la part des visiteurs serait certes bien mais ceci ne peut pas être sans intervention de personnes chargées de la surveillance car hélas beaucoup de visiteurs ne sont pas aussi respectueux de la beauté des lieux qu’ils devraient l’être
    Et que dire des enfants qui grimpent dans les arbres en cassant des branches et en risquant de plus de graves blessures
    Et là il faut dire que les personnes qui devraient les surveiller ne sont pas à la hauteur !
    Bref il y a beaucoup de travail dans ce parc comme dans beaucoup d’autres c’est certain
    Alors bon courage à ceux qui en ont la charge !!!

  3. Juste un rectificatif/complément sur le paragraphe des effectifs :
    L’entretien de ces nouveaux « espaces végétalisés diffus » sur les trottoirs, placettes, etc… est désormais assuré par les agents de la Propreté.
    Qui apparemment n’avaient que ça à faire et sont tous promus jardiniers…

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