Paris Terrassé

L’histoire d’une privatisation généralisée de l’espace public

Depuis le 1er avril, les terrasses éphémères ont fait leur retour dans toutes les rues de Paris. Modifiant en profondeur l’esthétique de la ville, ces terrasses, si elles sont des lieux de convivialité appréciés à juste titre par de nombreux Parisiens, sont souvent sources de nombreux troubles pour les riverains.

Alors que le nouveau Règlement des Étalages et Terrasses (RET) aurait dû être l’occasion d’une recherche d’équilibre, entre une exploitation raisonnable de l’espace public par les cafés et restaurants et la légitime demande de tranquillité des Parisiens, l’occasion a été manquée. 

Tant et si bien que l’association Réseau Vivre Paris a dû se résigner à engager une procédure judiciaire à l’encontre de la Mairie de Paris.

Les animateurs du site www.saccage-paris.com invitent à soutenir son action : https://www.reseau-vivre-paris.fr/les-procedures-engagees-par-le-reseau/

Pourquoi ce soutien ? Cet article décrit notre position, qui conteste la privatisation latente et à un niveau jamais atteint de l’espace public. Plongeons dans ce Paris terrassé.

Préambule

En 2020 puis en 2021, dans l’urgence de la crise Covid, et pour répondre aux demandes des restaurateurs qui souhaitaient augmenter leur capacité d’accueil tout en répondant aux contraintes sanitaires, la Mairie publie une « Charte d’engagements sous un régime déclaratif avec exonération des taxes pour que les commerçants puissent étendre leur terrasse ou en créer ».

Sous réserve de respect de cette Charte, il est permis aux exploitants de cafés et restaurants – sur une base déclarative – d’étendre leur surface commerciale sur les places, trottoirs et places de stationnement.

Au total, aux 10 000 terrasses permanentes déjà existantes, se sont donc greffées 8 330 terrasses éphémères en 2020 et 12 500 en 2021. (Il semble que pour l’heure en 2022, on soit à environ 3 000 terrasses éphémères / estivales. A confirmer)

Face à ce phénomène, les réactions des Parisiens ont varié. D’un côté, la satisfaction de pouvoir se réunir en plein air, autour d’un verre, après des mois de confinement, parfois isolés. Chacun garde en tête les images des Parisiens prenant d’assaut ces terrasses, espérant profiter d’une place au soleil.

De l’autre, le malaise de constater la zadification et l’envahissement progressifs de l’espace public. En effet, pour une poignée de terrasses joliment décorées et aménagées, on a vu ainsi fleurir, installées sur l’espace public, des milliers de terrasses éphémères, assemblées de brics et de brocs, à la va-que-je-te-pousse. Paris-Palettes est née.

Au-delà de l’aspect purement (in)esthétique de ce bric-à-brac masquant façades et fenêtres, des mois de troubles ont commencé pour ceux qui habitent à côté ou au-dessus des-dites terrasses.

Alors que des règles de tranquillité publique étaient publiées, comme notamment l’obligation de devoir fermer ces terrasses éphémères à 22h maximum et de ne pas y ajouter de sonorisation extérieure, leurs riverains ont pu constater le laxisme de la Mairie : jusqu’en Octobre, certains établissements ont poursuivi la fête sous leurs fenêtres jusqu’après minuit, parfois plus, transformant leur nuit en véritable enfer, sans qu’aucune sanction dissuasive (autre que la faiblarde amende allant de 68€ à 500€) ne soit infligée aux contrevenants (d’ailleurs, question à Olivia Polski : combien d’amendes ont été infligées et combien à 500€ ?).

D’un point de vue juridique, l’occupation de l’espace public par des terrasses, notamment éphémères, ne pouvait durablement être régie par une simple Charte – sans portée ni valeur juridiques (!) – dérogeant au droit de l’urbanisme en général (nul ne peut occuper le domaine public sans bénéficier d’un titre l’y autorisant) et au Règlement des étalages et des terrasses (RET) adopté le 6 mai 2011 en particulier.

Aussi, le 11 juin 2021, à l’issue d’un « processus de concertation » d’une vingtaine de jours (!), un nouveau RET est publié au Bulletin officiel de la ville de Paris[1]. Une “concertation” qui a fait en sorte de méthodiquement exclure de l’échange la quasi-totalité des collectifs et associations. Finalement, les terrasses « éphémères » deviennent « estivales » – l’été durant sous le soleil hidalguien sept mois, du 1er avril au 31 octobre.

Au passage, notons que certains exploitants n’ont pas démonté et même, dans certains cas, continué d’exploiter ces terrasses hors période ! Alors ce nouveau RET va-t-il permettre à « chacun d’être respecté » comme le revendique publiquement la Mairie de Paris ? Bien évidemment non, car dans le Royaume de SaccageParis, le pire est toujours à venir. Et sans aucun doute, la justice aura, à l’avenir, à se prononcer face à une dérive manifeste de l’usage de l’espace public, que contestent riverains et associations, comme Réseau Vivre Paris et Droit au sommeil.


1. Le cadre juridique des terrasses à Paris : le nouveau RET

Le RET “historique” de 2011

Historiquement, le RET de 2011 définissait les procédures et autorisations applicables aux « étalages, terrasses, contre-étalages, contre-terrasses et commerces accessoires. Une affichette délivrée lors de l’autorisation comportant les dimensions des occupations autorisées et le plan matérialisant l’implantation » devait être apposée sur la vitrine, de façon visible depuis l’espace public.

Le RET rappelait aussi : “sur tous les trottoirs, une bande d’au moins 1,60 m de large doit être réservée à la circulation des piétons”

Rien ne concernait les terrasses éphémères dans ce document.

Ce n’aurait bien sûr pas été un problème de fond si ce dispositif n’avait pas été destiné à être pérennisé après la crise Covid. Sauf que, comme souvent à SaccageParis… le provisoire devient permanent. Comme pour les “coronapistes”, le covid a sans doute été un prétexte dont se sont saisis allègrement Anne Hidalgo et sa majorité pour accélérer la mise en œuvre d’un changement de politique de la ville pensé depuis plusieurs années : “la ville du quart d’heure” ou “la méditerranéisation » (comme aimait le dire l’ancien adjoint à la propreté de la mairie de Paris).

C’est en tous cas ce que l’on peut déduire d’un étrange échange au sujet des problématiques chauffages de terrasses, entre l’adjointe Olivia Polski et ses alliés verts lors du Conseil de Paris de décembre 2019. On comprend que pour elle, les terrasses éphémères sont de l’urbanisme tactique au même titre que les coronapistes. Ainsi déclarait-elle : “ce règlement mérite, de toutes façons d’être revu, d’abord pour y intégrer les dispositifs qui n’existaient pas il y a huit ans – je pense notamment aux “parklets” qui ont été expérimentés avec succès cet été, dans trois établissements du 14ème (…)”.

La charte de 2020

Pour permettre l’installation des terrasses éphémères, la Mairie publie donc en mai 2020 sa fameuse Charte.

La Charte matérialisait les engagements que devaient respecter tous les bénéficiaires de cet aménagement dérogatoire, engagements à portée générale, qui comportaient trop peu d’éléments chiffrés. Les distances réglementaires à respecter n’étaient même pas rappelées de manière précise.

Cette charte n’ayant aucune portée juridique, elle n’était en conséquence pas opposable légalement. Les occupations du domaine public se faisant dès lors sans titre, la majorité a dû, pour pérenniser les terrasses éphémères, publier officiellement un nouveau RET.

Le nouveau RET de 2021

La réforme du RET, travaillée de manière expresse entre avril et mai, est entrée en application le 18 juin 2021, à sa publication.

Une « consultation » à la mode Paris en commun

La pérennisation ne pouvait bien sûr pas se faire, pour le bon storytelling de la mairie, sans le « soutien » des riverains. Aussi, la mise en place du nouveau RET a été précédée d’une consultation.

La réalité, les collectifs et les associations la connaissent :  c’est bien un simulacre de concertation qui a été mis en oeuvre :

  • Sa rapidité : 18 jours, du 20 avril au 7 mai. La possibilité était donnée d’envoyer une contribution écrite… avant le 3 mai !
  • Son intensité : Mme Polski évoque 68h de concertation avec les riverains, les intéressés évoquent eux environ 5h. Qui dit vrai ? (on a une petite idée…)
  • Son opacité : aucune campagne de communication n’a alors été poussée vers les habitants !
  • Son format pseudo-démocratique :  une réunion de présentation du projet et seulement deux ateliers de travail dont un pour les associations !
  • Son audience partiale : surprise, des associations pro-terrasses sont présentes lors des ateliers, dont une, présidée par Renaud Barillet, le gérant de la très soutenue Bellevilloise : “Les Pierrots de la Nuit”
  • Sa restitution cadenassée :  la réunion a été organisée sur Zoom (initialement il était prévu qu’elle le soit sur Facebook) avec chat fermé ! Du coup, plus facile de faire taire les oppositions…
  • Sa conclusion : aucune des demandes des associations de riverains n’a été retenue (taille mesurée des terrasses par rapport aux surfaces intérieures, prise en compte des historiques de nuisance de certains établissements), tandis que des dispositions non présentes dans la consultation ont été insérées dans le RET, comme l’apparition de terrasses permanentes – donc à l’année – sur stationnement !

Que dit ce nouveau RET ?

Le nouveau RET est organisé autour du triptyque pseudo-bienveillant « protéger – soutenir – répondre ». Il met fin au régime déclaratif et soumet de nouveau les installations à un régime d’autorisations.

Ce RET autorise les débits de boissons et restaurants, mais aussi les commerces dit culturels (hôtels, disquaires et libraires) ainsi que les fleuristes (!) à bénéficier du dispositif. Plusieurs espaces peuvent être occupés : les places de stationnement, les trottoirs, les terre-pleins, les placettes, et des rues qui sont alors temporairement piétonnisées.

Plusieurs conditions sont prévues, dont :

  • Le cheminement des piétons et l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite (PMR) : maintenir 1m60 minimum de passage et 1m80 entre terrasse et contre-terrasse.
  • La limite de 22h pour l’exploitation de la terrasse estivale (contre 2h du matin pour les terrasses annuelles).
  • Pas de musique dans les espaces extérieurs (ni amplifiée depuis l’intérieur).

Néanmoins, comme le précise le site de la Ville, des limites d’implantation et des restrictions sont prévues :

  • Sur le trottoir : possibilité de s’étendre au droit du commerce et face aux immeubles mitoyens ; le long des immeubles uniquement devant les murs aveugles et devant les commerces qui auront donné leur autorisation.
  • Sur place de stationnement : la terrasse (avec installation obligatoire d’un platelage et de protections latérales) peut être installée au droit du commerce plus une place de stationnement de part et d’autre, mais avec interdiction d’installation sur le stationnement réservé (place de livraison, place des personnes handicapées, taxis, motos, scooters, station de vélos, trottinettes, Mobilib, transports de fonds).

Autres nouveautés structurantes (dont certaines mesures n’étaient pas dans le projet en consultation) :

  • L’avis du maire d’arrondissement est simplement consultatif et n’est pas obligatoirement suivi par la mairie centrale. A ce sujet, on se demande toujours pourquoi l’adjointe Olivia Polski est allée, dans le cadre d’une demande de terrasse estivale instruite dans le 17è arrondissement, à l’encontre de tous les avis défavorables exprimés (maire de l’arrondissement, Direction de l’Urbanisme et Préfecture de police) ?  ;
  • Un « cadre esthétique devra être respecté» (comprenne qui pourra, comment peut-on publier un critère réglementaire aussi flou ?).
  • Il est fait référence dans plusieurs passages du Règlement à la notion de « linéaire ». Mais quelle est la définition juridique du « linéaire » ?

Le RET précise les éléments interdits :

  • Les installations électriques (éclairage, chauffage, etc.) ;
  • La publicité ;
  • Les éléments opaques ;
  • Les éléments ne doivent pas être fixés au sol ;
  • La couverture : les toits, les bâches, les barnums ;
  • L’utilisation des bois de palettes (si si c’est bien interdit vous avez bien lu…) ;
  • Les planchers et tous revêtements de sol sur trottoirs.

Des RET locaux ?

Sentant le vent de la colère monter, et l’encre du RET à peine sèche, Olivia Polski annonce dès février 2022… des RET locaux à Paris Centre (Nouveau règlement particulier des étalages et terrasses du secteur Montorgueil/Saint-Denis) et au Canal Saint-Martin.

On peut tout de même s’interroger d’une part sur la valeur d’un règlement dont les rédacteurs s’empressent de rédiger des versions adaptées et contextualisées et d’autre part, côté exécution, sur la capacité de la mairie à faire appliquer une multiplicité de règlements locaux alors même qu’elle a démontré son incapacité à faire appliquer le règlement de base !

Qui sanctionnera le non-respect du RET ?

Malgré les belles déclarations d’intention (comme toujours avec cette équipe municipale), les riverains voient arriver avec angoisse le retour des beaux jours ! Car en cas de non-respect du RET, les sanctions prévues pour les contrevenants sont si légères qu’elles n’effraient pas :

  • « Avertissement » (tremblez exploitants !)
  • « Verbalisation de 68€ à 500€ » (c’est-à-dire plusieurs minutes d’exploitation, c’est dire si c’est impressionnant)
  • « Suspension motivée de l’autorisation de terrasse pour une durée variable selon la gravité des faits (15 jours, 1 mois ou 2 mois et doublement en cas de répétition des faits » (on l’a tous compris, sur une période de 7 mois et cette sanction arrivant après les deux premières, aucune chance qu’elle ne soit infligée).
  • « Retrait définitif de l’autorisation de terrasse pour une durée pouvant aller jusqu’à 3 ans » (science-fiction dans la Mairie Saccageparis ou le principe de gestion est la permissivité).

Autre sujet : qui pour sanctionner ? La police nationale ? Ce n’est pas sa mission, bien évidemment. La police municipale ? Oui bien sûr, en théorie, sauf qu’aujourd’hui ses effectifs et ses moyens sont si limités qu’il lui sera impossible de contrôler la conformité des terrasses et le respect des règles du RET.

En réalité, la mise en place du RET aurait dû être accompagnée de la création d’une « Police des terrasses », émanation de la police municipale, des agents formés et dédiés à cette mission spécifique. La mise en place de moyens de contrôle adaptés aurait dû être un préalable avant d’ouvrir en grand les tireuses à bière !

Comme d’habitude, la ville offre des droits nouveaux sans se doter de moyens pour faire respecter les devoirs associés.

2. Des terrasses éphémères aux conséquences, nuisances et risques multiples

Quoi que l’on pense de ce dispositif, ce qui est incontestable, c’est qu’il transforme la ville en profondeur, au moins 7 mois dans l’année.

Est-il admissible qu’une mesure aussi importante, structurante, « impactante » pour la vie des Parisiens soit prise alors même qu’elle est à peine effleurée dans le programme Paris en commun ? Evidemment non, il s’agit même d’un scandale démocratique.

Scandale d’autant plus évident qu’Anne Hidalgo avait promis « de lutter contre la pollution sonore pour protéger les enfants » et que certains candidats devenus maires ont axé leur campagne sur « la lutte contre le bruit ». C’est le cas notamment du maire de Paris Centre Ariel Weil.

Nuisances sonores et santé

A la Mairie Saccageparis, on considère qu’il y a deux types de bruits : les « méchants » bruits, c’est-à-dire ceux créés par la circulation routière, et les « gentils » bruits, comme les éclats de rires, les conversations bruyantes, mais aussi les bagarres entre anciens copains éméchés au cœur de la nuit.

On l’aura compris, malgré son engagement « contre la pollution sonore, pour la tranquillité des habitants », c’est donc uniquement les premiers bruits que la Ville de Paris entend combattre.

Sur la page internet « Bruit et nuisances sonores » de la Ville, il est opportunément rappelé combien ce type de nuisances est néfaste pour la santé. Mais ô surprise, seuls les bruits routiers ou liés aux transports sont mis en exergue (d’ailleurs, et c’est une bonne chose, deux radars sonores expérimentaux viennent utilement d’être installés en février par Bruitparif, un dans le 17è arrondissement, le second dans le 20è).

Question candide : comment, sérieusement, s’attaquer à une nuisance en ne la combattant que par un angle idéologique ?   Car la pollution sonore liée à l’activité des terrasses, permanentes et éphémères, est incontestable. Certains riverains ont pu mesurer depuis leur appartement des pointes à plus de 90 décibels.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) diffuse, dans un rapport intitulé “Lignes directrices relatives au bruit dans l’environnement”, des conseils de santé publique fondés sur des preuves scientifiques. Pour l’OMS, ces conseils sont “essentiels à la conduite de l’action politique pour protéger les populations des effets néfastes du bruit”. L’OMS recommande aussi de considérer les niveaux sonores maximum suivants pour éviter des effets néfastes pour la santé :

  • 55 dB(A) en journée (pour un LAeq évalué sur une base de 16 heures d’exposition)
  • 40 dB(A) la nuit (sur une base de 8 heures d’exposition).

On pourrait dès lors s’étonner que les riverains victimes des nuisances sonores n’exercent pas, sur ce fondement, plus de recours en justice, une fois toutes les tentatives de conciliation avec les exploitants inabouties et les demandes d’intervention des Pouvoirs publics sans réponse.

L’explication est d’ordre technique. Pour les bruits d’origine professionnelle, c’est l‘émergence du bruit qui est sanctionnée. Pour les bruits sur la voie publique, le constat d’huissier pointe difficilement l’origine de la nuisance quand il y a plusieurs établissements dans la rue. Les procédures sont par ailleurs longues et fastidieuses.

La difficulté légale de constater la nuisance conduit à cette situation pour le moins choquante : des Parisiens, qui ont pour seul tort d’être riverains de bars extérieurs, doivent subir sans broncher le bruit provenant de ces endroits, accueillant avec ou sans musique des dizaines de consommateurs, y compris au-delà de 22h sur les terrasses estivales (en contravention donc avec le RET).

Or il s’agit bien d’un enjeu de santé publique comme nous l’avons évoqué plus haut. Le rapport de l’été 2021 par Bruitparif, basé sur l’analyse des quelques méduses (capteurs sonores) déployés dans Paris, est également alarmant en la matière.

L’association Droit au Sommeil a par ailleurs appliqué les normes du bruit routier aux données de bruit des quartiers festifs relevées par Bruitparif en octobre 2021. Le constat est édifiant : les habitants des quartiers festifs ont une exposition au bruit comparable aux riverains des grands axes routiers. Mais les victimes sont rassurées : le bilan carbone serait meilleur.

https://twitter.com/DroitParis/status/1460979048755216397

Nuisances liées aux activités extérieures des bars et restaurants et valeur des biens

Dans bien des domaines, la qualité de vie à Paris se dégrade, entraînant la fuite de 66 000 Parisiens entre 2013 et 2019, et de 11 000 encore en 2020 (source : Insee).

Or pour ceux qui font le choix de rester dans la capitale, ou qui ne peuvent faire autrement de rester, et qui sont directement touchés par les nuisances légales ou illégales engendrées par les terrasses, la sanction est donc double. Outre des conditions de vie plus ou moins détériorées, la valeur de leur bien s’affaisse !

Imaginez un appartement au 1er étage d’une rue, une terrasse qui d’un coup se met à « pousser » sous ses fenêtres de manière définitive ou éphémère, avec toutes les potentielles nuisances déjà évoquées. Quelle sera la conséquence sur la valeur vénale du bien : – 10 %, – 15%, – 20 % ? Plus encore ?

Ce qui est certain, c’est que désormais les acheteurs potentiels de biens consultent l’Open data des terrasses de cafés et restaurants avant de faire une quelconque offre sur un bien, même « coup de cœur ».

Dégradation du cadre de vie : les terrasses-palettes

La terrasse à Paris, c’est un mythe, un concentré de Paris. Une image connue nationalement et internationalement.

Les chaises en rotin, les devantures rouges, les tables rondes au léger liseré doré, l’ardoise au mur. C’est un art de vivre, ancré dans la conciliation des usages et de l’esthétique.

Or, si notre Mairie aime l’éphémère ou l’estival, c’est que cela permet de s’exonérer de pré-requis ou des images d’Epinal.

L’éphémère peut donc être moche, laid, brouillon, avec des matériaux bas de gamme puisque, par définition, non faits pour durer. Cette théorie des usages développée par la Mairie annihile tout effort esthétique ou tout investissement (car du point de vue des restaurateurs, pourquoi investir dans des extensions de qualité, pour une durée éphémère ?)

Alors vive le laid, vive la palette, vive la moquette défraîchie, le gazon miteux et les chaises en plastique !

Certaines extensions de terrasses, en état de pourriture, avec mobilier bas de gamme, installées à même le caniveau ou bâchées alors que c’est interdit, ont ainsi pu défigurer à loisir les rues et masquer les façades des immeubles parisiens.

En fait, certaines terrasses ont donné à Paris un petit air de bidonville très #Saccageparis.

Le RET n’a jamais défini de règles précises et encore moins contraignantes (alors même qu’un rapport de l’Inspection générale de la Ville de Paris le recommandait en 2016) et l’anarchie esthétique s’est imposée d’elle-même. Quelques terrasses sont très belles (la Mairie ne se prive pas de les montrer en exemple comme pour les permis de végétaliser) mais la majorité d’entre elles se contentent du strict minimum : tables, chaises et délimitations avec la rue. Pour la “contrepartie” esthétique, on repassera.

Sécurité routière

Installées en débord sur les places de stationnement, les terrasses posent question en matière de sécurité des usagers.

Mordant sur la voirie, les conditions de sécurité des consommateurs laissent souvent à désirer et inquiètent les usagers de la chaussée.

Ils en sont parfois quittes pour de belles frayeurs ou plus grave, lorsque lesdites terrasses masquent des éléments de visibilité comme les stationnements ou panneaux de signalisation.

Mais pire, ces aménagements provisoires peuvent être gravement accidentogènes, quand des chauffards percutent des consommateurs installés sur les terrasses.

Le non-respect des mesures de sécurité, l’encombrement des trottoirs et la perte d’une chance de végétalisation

Alors même que cette même Mairie se vante sans discontinuer de rendre la ville aux piétons, de bannir les voitures et d’élargir les trottoirs, dans certains quartiers, déambuler relève de l’exploit. Et pourtant, la coutume veut qu’à Paris, un tiers des trottoirs soient réservés aux commerces, et deux-tiers aux piétons.

Et cela en contravention du Plan d’Accessibilité à la Voirie et aux Espaces publics (PAVE), qui prescrit un passage libre de 1.80m entre la terrasse et le moindre obstacle (arbre, poteau) afin de permettre le déplacement des personnes à mobilités réduites (PMR) : personnes en situation de handicap, personnes âgées, personnes avec poussettes…

https://twitter.com/ACORDEBARD/status/1230512511046299649

Rappelons que les terrassiers sont censés sanctuariser les cheminements piétons :

  • Maintenir 1m60 minimum de passage
  • Maintenir 1m80 entre terrasse et contre-terrasse

En réalité les trottoirs n’ont jamais été aussi encombrés. La Mairie observe avec complaisance les obstacles mis sur le chemin des piétons (et ne parlons pas des PMR), voire en rajoute (panneaux publicitaires plots, barrières, free floating).

Il reste quand même surprenant qu’une municipalité se prétendant “écolo” privatise l’espace public au service d’une mono-activité économique, se privant ainsi d’une chance de le végétaliser.

On aurait pu faire évoluer la coutume évoquée plus haut en distribuant les trottoirs de la manière suivante : un tiers pour les commerces, un tiers pour les piétons, un tiers pour la végétalisation (ce qui aurait permis de tendre à se rapprocher des préconisations du Plan biodiversité 2018-2024 de la ville de Paris, qui visait notamment à rendre perméable 30 % des espaces publics. A priori c’est tombé aux oubliettes…

Nuisances liées à la consommation de rue

Inutile de décrire ce qui est évident : la multiplication des tables en terrasses, parfois sans rapport avec la surface au bail et donc l’offre de sanitaires, et la consommation d’alcool ont un impact dans l’espace public – en plus du bruit déjà évoqué.

Déchets, urine, vomis et autres joyeusetés post-consommation : les signalements DMR sont positivement corrélés à la présence de bars/restaurants “sauvages” ou très étendus.

Certaines rues sont tristement connues à Paris pour ce fait.

Dans le même ordre d’idée, les commerçants, encouragés par la permissivité ambiante laissent de plus en plus s’accumuler ordures, bouteilles, hors des dépôts réglementaires.

L’atteinte aux politiques de lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme

Exit la loi Evin. Quand l’intérêt des bistrotiers rejoint celui de la Mairie, les victimes sont oubliées. Multiplication des terrasses, des espaces où boire et fumer en extérieur, à grand renfort de publicités pour l’alcool sur les parasols, transats et autres pendants en bois (malgré le fait que ce soit interdit par le RET).

Les bâches en plastique (autrement appelées « rideaux de douche ») qui étaient interdites dans le règlement de 2011 ont été oubliées dans celui de 2021. Ce qui permet de confiner dans un même espace non ventilé fumeurs et non-fumeurs, interdisant de fait l’accès des terrasses couvertes ou non-fumeurs.

En plus de l’impact sanitaire sur les personnes alcoolisées, la consommation d’alcool a un impact sanitaire sur le sommeil et la santé des riverains. C’est en substance ce que Droit au Sommeil a relevé en s’appuyant sur des études de l’INSERM, de Santé Publique France et du Plan d’action européen pour réduire l’usage nocif de l’alcool.

La Mairie de Paris a visiblement un problème avec la bouteille. Même au sein de son Académie du climat, elle a cru bon d’ouvrir un bistrot recyclé dans lequel la jeunesse parisienne est invitée à picoler (bio) tous les jours de la semaine. L’esthétique palette du lieu n’est d’ailleurs  pas sans rappeler celle des terrasses estivales.

L’atteinte à la concurrence saine et loyale

Si l’on s’en tient aux statistiques de l’APUR, rien qu’en 2020, ce ne sont pas moins de 660 cafés et restaurants qui ont été créés à Paris (+19% entre 2000 et 2020). Bonne nouvelle ! C’est une industrie qui dégage des marges importantes, tant mieux pour l’économie

Mais pourquoi alors leur octroyer un avantage que d’autres commerçants de proximité n’ont pas ? Ou même que certains exploitants de cafés et restaurants ne peuvent pas exercer (car les conditions d’installation d’une terrasse ne sont pas réunies) ?

Comme nous l’avions écrit dans un précédent article, ces avantages contribuent à la mise en place de mono-activités dans certains quartiers de Paris.

Au-delà, la valorisation des baux commerciaux veut-elle encore dire quelque chose quand il suffit de disposer de quelques mètres carrés dans l’établissement pour en bénéficier de dizaines à l’extérieur ? Les terrasses constituent un élément de valorisation du bien : elles contribuent à l’augmentation du prix des fonds de commerce… alors même qu’une terrasse est un élément du fonds de commerce révocable et non cessible lors d’une vente.

L’inspection générale de la ville ne disait pas autre chose en avril 2016. Elle insistait sur le fait que « les autorisations données doivent rester mesurées au regard de la surface commerciale de l’établissement » ou encore sur le fait (P. 17 du même rapport), qu’il convient d’éviter que la rentabilité économique dépende de la terrasse. En réalité, le droit est très clair sur ce point : de nature précaire, le commerce ne peut dépendre de sa terrasse… Dépendance que crée le RET 2021. CQFD.   

3. Les motivations d’Anne Hidalgo ?

Comment comprendre qu’une Mairie, censée administrer une ville au service de tous, privilégie aussi nettement une industrie constituée en lobby, au détriment évident de la qualité de vie de nombreux Parisiens ?

En effet, la majorité (mais soyons objectifs, l’opposition se fait des plus discrètes sur ce sujet, tant côté LR que LREM/modem) semble déterminée à faire bouger les lignes, en faisant droit à la plupart des demandes du lobby des bars et restaurants, dont le bras armé est le syndicat UMIH (l’Union des métiers de l’industrie de l’hôtellerie).

Si c’est bien entendu le rôle de ce syndicat patronal de chercher à pousser au maximum son avantage (on peut lire sur son site : « Le rôle de l’UMIH Paris Île de France est de représenter ses adhérents, professionnels du secteur des CHRD cafés, hôtels, restaurants, traiteurs et discothèques et se mobilise pour défendre les intérêts de ces entreprises en les accompagnant au quotidien dans leurs activités »), le problème est qu’il ne fait face à aucun contre-pouvoir de son calibre dans la ville.

Certes certaines associations comme Réseau Vivre Paris ou Droit au sommeil se mobilisent (voir plus bas), mais le rapport de force est bien évidemment très déséquilibré.

Le vrai contre-pouvoir devrait être exercé par la Mairie elle-même.

Anne Hidalgo devrait en permanence chercher l’équilibre entre, d’une part, donner satisfaction à l’UMIH lorsque ses revendications patronales sont légitimes, d’autre part, veiller à la diversité commerciale, et enfin, se soucier de ses administrés.

Or, avec la Mairie #Saccageparis, c’est tout l’inverse qui se passe. Anne Hidalgo et son adjointe aux PME, Olivia Polski, appuyées par le puissant Service de l’Urbanisme de la Ville de Paris, semblent se comporter, de fait, en alliées objectives de l’UMIH et des lobbies des bars et de l’alcool, sans prise en compte de l’intérêt général.

On se pose donc légitimement la question : pourquoi cette stratégie outrancière de marchandisation par le transfert de l’occupation de l’espace public au bénéfice de certains cafetiers et restaurateurs ? On peut essayer d’identifier quelques raisons.

Une demande des Parisiens ?

Anne Hidalgo a-t-elle répondu avec le nouveau RET à une demande des Parisiens ? Ces derniers ont-ils envoyé à la mairie des pétitions pour réclamer plus de terrasses ? Pas vraiment, non. Si l’on se plonge dans l’étude menée à l’occasion des Etats généraux du stationnement, qui sont tout à fait récents puisque menés d’octobre 2020 à février 2021, on constate même que l’installation de terrasses nouvelles dans l’espace public n’est aucunement une priorité pour eux.

L’objectif de ces Etats généraux était de plancher sur le « Futur de nos rues » avec un parti-pris revendiqué : la diminution de « l’espace public alloué à un usage privatif comme le stationnement d’un véhicule individuel (…) au profit d’usages à vocation davantage collective ».

Comme à chaque fois que la Mairie souhaite faire passer des décisions – le plus souvent déjà prises en réalité -, elle cherche à démontrer que ces décisions sont le fruit de concertations. Comprendre : une demande des Parisiens.

Pas de chance, ramené à notre sujet, les Parisiens sont on ne peut plus clairs. Il ressort de cette consultation que parmi ceux à quoi les Parisiens aspirent pour leur rue, on trouve avant tout en matière de cadre de vie et de mobilité :

  • « Encadrer et réduire l’ensemble des nuisances via un contrôle plus strict par les Pouvoirs publics »
  • « Sécuriser et élargir les trottoirs, les cheminements et les zones dédiées aux piétons ».

Le maintien de l’activité commerciale et des emplois

Bien que soutenues comme nulle autre industrie par des mesures nationales à l’occasion de la crise COVID, les exploitations de cafés et restaurants ont comme de nombreux autres secteurs de l’économie souffert de la crise sanitaire.

A cela s’ajoutent de nouvelles difficultés de recrutement, directement liées au confinement : de nombreux employés du secteur, ayant découvert ou redécouvert le confort légitime des horaires classiques de travail et d’une vie de famille plus équilibrée, ont quitté la profession. Et la relève n’est pas là. 200 000 emplois sont actuellement à pourvoir dans le secteur en France.

Le risque pourrait donc être, en théorie, la fermeture de nombreuses exploitations, et on peut imaginer que la Mairie craigne un impact sur l’emploi des Parisiens et sur l’attractivité de la ville. En octroyant des mètres carrés d’espace public, elle contribue au maintien de leur chiffre d’affaires, et en complément à l’action nationale, « prend sa part » dans la sauvegarde de l’emploi.

D’ailleurs, à l’heure du bilan 2021, le 31 octobre dernier, le président de l’UMIH-IDF estimait sur France Bleu Paris : “A Paris, les gens aiment bien aller en terrasse, les quelques touristes qui étaient là aussi. C’est un bilan très positif, ça a permis de sauver la saison pour beaucoup de professionnels qui n’avaient pas de terrasse ».

La promotion d’une offre touristique récréative, et la culture de la fête

On le sait, Anne Hidalgo, qui prétend avoir « hérité d’une ville-musée » (Bertrand Delanoë appréciera), assume transformer la capitale en une « ville créative ». Sauf qu’en l’espèce, elle oublie le préfixe, et c’est plutôt en « ville récréative » que Paris se transforme.

Tout est bon pour « faire la fête ». Paris, la soi-disant belle endormie, se rêve en alternative à Berlin ou à Barcelone, alors même que ces villes, ayant constaté les dégâts engendrés par cette politique de cette fête à tout prix, sont récemment revenues de cette philosophie. Par exemple, la Mairie de Barcelone a entrepris de combattre le tourisme des saoûleries pour revenir à un tourisme plus respectueux de la vie des habitants.

Dans la droite ligne d’un rapport de Laurent Fabius, passé un peu inaperçu, professant que la vie nocturne doit constituer un avantage compétitif afin de drainer une clientèle internationale, au même titre que l’œnotourisme ou la visite de monuments par exemple, Anne Hidalgo et sa majorité s’évertuent à transformer Paris en bar à ciel ouvert.

L’adjoint à la vie nocturne Frédéric Hocquard avait beau annoncer en 2016 : « On refuse de tomber dans le modèle d’Amsterdam ou Barcelone en disant “venez vous alcooliser rue de Lappe et vous bourrer la gueule rue Oberkampf!” », c’est exactement ce qui a été poursuivi par la majorité et qui se voit actuellement dans certains quartiers de Paris.

Pour Anne Hidalgo et sa majorité, c’est non à la « ville formol », oui à la « ville formica » des tables rondes des terrasses de bars et restaurants. Pour cette fine équipe, tout est bénéfice : une partie de l’électorat de la majorité y trouve son compte, les touristes croient profiter d’un « art de vivre à la parisienne », les exploitants sont reconnaissants.

Quant aux familles, aux riverains qui souffrent des nuisances sonores, des troubles aux voisinages, de problèmes d’accès à leur habitation ou à leurs commerces : ils sont considérés depuis des années comme les ennemis de cette vertueuse politique de fête à la parisienne, ce sont des « grincheux » qui ne comprennent décidément pas ce que c’est que vivre dans une ville moderne.

Le maire adjoint chargé de la nuit Frédéric Hocquard avait par ailleurs fait sien un principe dit d’antériorité : si l’établissement pré-existe à l’emménagement des habitants, alors ceux-ci ne sont pas fondés à se plaindre, puisqu’au courant des particularités et des risques associés.

Principe qui se démonte aisément, puisqu’entre s’installer à proximité d’une terrasse de cinq tables et finalement vivre près de cette même terrasse qui compte une extension quinze tables de plus, il y a un monde de nuisances, que la Mairie ne veut pas voir. Les gérants changent aussi les pratiques, les “festorants” avec forte consommation d’alcool jusqu’à 2h du matin et plus, n’ont plus rien à voir avec les quelques tables de l’image d’Epinal du petit restaurant tranquille qui remballait paisiblement à 21h45.

La chasse aux places de stationnement

L’ennemie absolue de la maire de Paris c’est la voiture (sauf le taxi G7 qui est « un service public » selon Anne Hidalgo ou faisant partie “de l’offre de mobilité” selon David Belliard, et les 60 véhicules avec chauffeurs réservés à certains élus et haut-fonctionnaires de la Ville).

Elle a donc mis en place un plan anti-voiture qui tient ainsi en 3 piliers :

  • Saturer : la stratégie est simple, il faut créer de la lenteur et de la pénibilité pour les automobilistes, en imaginant des plans de circulations contraignant, en opposition totale au principe même de la dynamique des fluides ou du plus court chemin, en réduisant le nombre de voies praticables (quitte à y mettre, dans un joyeux désordre, sur une voie unique : voitures individuelles polluantes, voitures électriques, bus RATP, taxis, VTC, véhicules d’urgences, de livraison, 2RM, 2RM propres : personne ne doit passer !).
  • Taxer : pour s’acquitter de la redevance d’occupation temporaire d’une place de stationnement, les travailleurs les plus modestes doivent désormais travailler presque 5 heures au SMIC pour stationner 4h dans le 9ème arrondissement. Justice sociale.
  • Supprimer : C’est ainsi qu’avec les terrasses éphémères, ce ne sont pas moins de 900 places de stationnement qui ont été supprimées. Et comme la nature a horreur du vide, la Mairie remplace un stationnement encombrant silencieux (la bagnole) par un stationnement encombrant et bruyant (la terrasse-palettes).

Le clientélisme ?

Bien sûr, on parle dans un café. De tous temps, le café a été considéré comme un endroit stratégique pour y installer ses « relais » quand on est un homme ou une femme politique. Lieu de vie, le personnel y entend l’air du temps, y distille aux moments opportuns ses propres conseils de vote, l’air de rien.  Peut-on imaginer qu’Anne Hidalgo et sa majorité n’aient pas cette arrière-pensée en accordant des avantages très concrets et palpables aux exploitants ?

Est-ce aussi cette motivation qui fait que l’on laisse des bars jouer de la musique, parfois des DJs, jusqu’à 2h du matin (la limite étant à 22h), ou lorsqu’une mesure administrative frappe un exploitant qui se voit ordonné le « retrait de sa terrasse », ce n’est quasiment jamais appliqué ?

Au final, et quelles que soient les motivations d’Anne Hidalgo et d’Olivia Polski pour tolérer les abus constatés, une chose est certaine, cette tolérance ne sera jamais suffisante du point de vue des exploitants. En témoignent les trois collectifs de patrons d’établissements qui se sont constitués dans le 9è, dans le 10è et dans le 2è arrondissements mi-mai (réunissant environ 250 restaurateurs et bistrotiers) pour réclamer plus de terrasses estivales.

4. Les procédures lancées par Réseau Vivre Paris

Le dialogue entre personnes raisonnables étant impossible à Paris, et les recours gracieux infructueux, les riverains ont donc été obligés de s’organiser pour installer un rapport de force. Qui plus est : un rapport de force judiciaire.

A la manœuvre, on trouve l’Association Réseau Vivre Paris.

D’abord réseau informel, créé en 2010 « en réponse à l’extension incontrôlée des terrasses de café et des pratiques noctambules sources de nuisances sonores pour les riverains des quartiers concernés », le groupement s’est transformé en 2018 en une association loi 1901, « Réseau Vivre Paris ! ».

Elle réunit une vingtaine d’associations de quartiers qui, toutes, œuvrent « pour la promotion de la qualité de vie à Paris ». La quasi-totalité des arrondissements de Paris sont ainsi représentés au sein du Réseau, qui poursuit deux objectifs principaux : d’une part, la régulation de la nuit, « dans laquelle les noctambules et les établissements peuvent faire la « fête », tout en respectant la ville et ses habitants » et, d’autre part, un espace public dans lequel les piétons peuvent circuler sans entrave. C’est bien la défense de ces deux objets sociaux que l’on retrouve au cœur de la stratégie judiciaire du Réseau Vivre Paris, au travers de 3 procédures, qui ont été récemment lancées.

Les procédures judiciaires en cours

1ère procédure : la carence fautive de la Ville de Paris et de la Préfecture de Police

Si un cadre juridique existe (en l’occurrence, successivement, le RET de 2011 complété par la Charte de 2020, puis à compter de juin 2021, le nouveau RET), encore faut-il qu’il soit appliqué. On a notamment vu qu’en cas de non- application, un arsenal de sanctions pécuniaires et administratives (pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’établissement récidiviste) existe. Encore faut-il qu’elles soient appliquées.

C’est sur ce fondement que repose la première procédure, qui « met en cause la responsabilité de la Ville de Paris et de la Préfecture de Police pour carences fautives dans l’application des différents règlements en vigueur ».

A cet égard, l’association réclame trois choses :

  1. « La mise en œuvre effective des pouvoirs du Maire et du Préfet de Police face à divers troubles à la tranquillité publique générés par les bars et établissements similaires » ;
  2. « L’application réelle du règlement municipal, le contrôle des terrasses et étalages (au stade de la délivrance et à celui de l’exploitation des autorisations de terrasses), et l’application réelle d’éventuelles sanctions en cas de manquement » ;
  3. « Une gestion responsable des « terrasses estivales », supposant le contrôle des engagements signés par les exploitants (horaires, surfaces allouées et nuisances sonores…) ».

2ème procédure : recours en illégalité du nouveau RET devant le Tribunal administratif de Paris

En parallèle, l’association a exercé un un recours en illégalité à l’encontre du nouveau règlement des étalages et terrasses du 18 juin 2021.

Le RET de 2011 comptait 52 articles, celui de 2021 en compte près d’une centaine; Cette inflation s’explique essentiellement par la création des terrasses dites estivales. La liste des griefs est longue : termes vagues, contradictions entre différents articles, non-respect d’autres réglementations comme le PAVE ou bien encore des Principes généraux applicables à l’occupation du domaine public.

3ème procédure : respect du droit des piétons.

Cette procédure, lancée conjointement avec l’Association des riverains du 11è arrondissement et un particulier en  août 2021 est un recours basé sur le refus de la Mairie de Paris de respecter les prescriptions du Plan d’Accessibilité à la Voirie et aux Espaces Publics (PAVE) dans le RET.

A titre d’exemple, le PAVE préconise, on l’a vu, de disposer d’une largeur de 1.80m (hors terrasse ou étalage), et de garantir une largeur de 1.60m  libre de tout obstacle. Ces valeurs sont des minima correspondant à des largeurs réduites de trottoirs, les piétons devant bénéficier des deux tiers de la largeur du trottoir hors mobilier. Et pourtant, le RET autorise l’utilisation de 50 % de la largeur utile du trottoir…

Un besoin de financement

Pour les plaignants, il ne fait pas le moindre doute qu’en cas de succès en première instance, la Mairie interjettera appel. Cette dernière sait en effet parfaitement que des particuliers ou des associations auront du mal à financer des procédures longues, et au-delà, pourront se décourager face aux lenteurs et à la complexité judiciaires.

C’est pour cela que nous encourageons toutes celles et tous ceux qui participent au Mouvement #SaccageParis à contribuer, même modestement, à la cagnotte organisée par le Réseau Vivre Paris (comme nous l’avions fait pour les actions de la FNE Paris et d’Union parisienne – UP).

Les plaignants, qui ont déjà pourvu aux frais de 1ere instance, anticipent un besoin de financement de 12 000 € (2250 € ont été collectés à date).

Voici le lien pour accéder à leur cagnotte : https://www.helloasso.com/associations/reseau-vivre-paris/collectes/procedures-contre-la-mairie-et-la-prefecture

Conclusion : la gestion des terrasses parisiennes passe par un partage équilibré et responsable de l’espace public

Le statu quo ne peut pas durer.

Même si de très nombreux exploitants font de leur mieux pour respecter le RET, et plus important encore, pour respecter leurs voisins, des milliers de riverains des terrasses connaissent de graves troubles depuis la ré-ouverture du 1er avril (à la suite de 2020 et 2021).

Aussi, nous pensons que plusieurs décisions doivent d’urgence être prises :

  • La tenue de juin à octobre 2022 d’Etats généraux des terrasses (comme il y en a eu pour le stationnement), destinés à collecter et analyser toutes les data disponibles, à auditionner des experts (juristes, acousticiens, économistes, médecins…), à lancer une grande consultation ouverte de plusieurs semaines avec comme finalité de corriger le nouveau RET et qu’il fasse l’objet d’un vrai consensus. Cette consultation doit permettre d’étudier enfin sérieusement des idées proposées par les associations comme Droit au sommeil, qui proposent notamment des contrôles réguliers et des sanctions plus sévères et donc dissuasives. (Pour consulter toutes leurs propositions : https://droitausommeil.fr/nos-revendications)
  • Le RET révisé et corrigé de ses anomalies, imprécisions et incohérences devrait être publié en janvier 2023. Son premier objectif doit être la protection du confort de vie des habitants, dans une ville vraiment “apaisée”.
  • La création immédiate, au titre d’une instance représentative, d’un Conseil de l’occupation de l’espace public composé des élus, des services, des représentants des riverains, des exploitants de terrasses et du Conseil de la nuit dont le rôle sera notamment de publier chaque année un bilan de la saison passée, basé sur des données objectives.

Dans l’urgence et pour la saison 2022, nous demandons à Olivia Polski, adjointe et candidate aux élections législatives :

  • La transparence totale d’une part sur le coût financier pour les contribuables de l’opération Terrasses estivales (c’est à dire le net entre le manque à gagner du stationnement vs la redevance pour occupation de l’espace public et le montant des amendes effectivement collectées), et d’autre part, sur le nombre de mètres carrés occupés par les terrasses estivales (légales et illégales tolérées jusqu’à nouvel ordre).
  • Qu’une partie des effectifs de la police municipale soit spécifiquement dédiée au contrôle et au respect du RET, y compris après 22h (sinon, comment les élus pourront-ils mettre en oeuvre la “menace” d’Ariel Weil datant proférée le 19 mai 2021 sur BFM : “La Mairie sera impitoyable face aux abus des terrasses !”).
  • La publication hebdomadaire sur l’open data de la ville des statistiques de l’application « Dans ma rue » relatives aux nuisances sonores et terrasses abusives
  • Le démontage immédiat des terrasses pour la saison après la 3ème infraction constatée.

Le débat pour les élections législatives bat son plein. Pour sa clarté, il est nécessaire que les candidats – majorité municipale et opposition – se positionnent sur ce sujet… quitte, s’ils ne le font pas, à ce que les électeurs les questionnent lors de leurs réunions publiques ou par courrier.


12 réflexions sur “Paris Terrassé”

  1. Une succession ininterrompue de terrasses en bois sur la rue a été créée sur PRES DE CENT METRES boulevard Quinet, face à la tour Montparnasse et surtout à un jet de pierre de la rue de la Gaieté. Un secteur jusqu’ici vivant, mais sans trop de touristes, ce que ne doit pas supporter la mairie de Paris. Par contre, il n’y a jamais de vélo en journée à la station Vélib qui jouxte cette belle structure, nouvelle victoire du lobby des cafés et restaurants, qui font décidément ce qu’ils veulent à Paris. Bravo Madame Hidalgo, de mieux en mieux!

  2. COPIE POUR INFO. Mail à M. Lecoq, Maire du 6e.
    Bonjour Monsieur le Maire. La Ville de Paris assure haut et fort que l’installation de terrasses commerciales est interdite désormais sur les espaces de livraisons. Comment se fait-il que le restaurant Au Père Louis ait toujours une grande terrasse sur un espace de livraisons au 2-bis rue de Vaugirard? Le résultat est que les camions n’ont plus aucune place de livraison entre cette terrasse et les espaces des 48 et 52 rue Monsieur le Prince, rendues inutilisables par les travaux du Foyer. D’où des rues bloquées, des klaxons, etc, pour notre plus grand déplaisir. Comme si cela ne suffisait pas, le restaurant Au Père Louis dispose à midi et le soir sur le trottoir deux barriques entre lesquelles il tend une planche pour poser verres et bouteilles. Les clients de ce « bar » extérieur gênent alors le passage piéton. Je suis très étonné de cette situation et ne doute pas, Monsieur le Maire, que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour faire cesser ces passe-droits. La Ville affirme que c’est aux mairies d’arrondissement de vérifier les implantations et leur conformité. (…)
    La « réponse »: ils ont fait un nouvel espace de livraison à 50 m, moins bien situé pour les livreurs. Autre réponse, constatée ce jour 12 rue Mabillon: des ouvriers EFFACENT d’anciens espaces de livraison, sans doute pour pouvoir installer des terrasses (j’ai la photo de leur travai).

  3. Personnellement, je fais la guerre au Maire du VI e en lui envoyant des mails quand il y a des cas qui relèvent de la provocation, avec photos éventuellement, au sujets des terrasses illégales (sur places de livraison), gênantes (en plein passage, sur trottoir étroit, sur un lieu d’affluence piétons…), ou dépassant l’emprise. Je me bats aussi en adressant régulièrement des signalements, avec photos, sur le site Dans ma rue, et j’obtiens des réponses. Enfin je connais très bien l’Umih et ses pratiques depuis Monsieur Daguin. Je sais aussi que certains élus, outre les derniers maires de Paris, ont été complaisant à l’égard du lobby qu’est l’Umih, sous différents prétextes. Je pense notamment à Madame Cohen-Solal, dans le 5e, à qui l’on doit sauf erreur le fait que l’espace de déplacement des serveurs n’est pas inclus dans l’emprise de la terrasse mais s’y ajoute, ce qui change tout. Il faudrait revenir là-dessus. Il faudrait de même interdire tout simplement les divers « mobiliers » que les cafés-restaurateurs ajoutent à leurs terrasses: parasols sous lequel il faut se courber pour passer, jardinières de plantes, tableaux de menus au milieu du passage, etc.

  4. Quel réquisitoire !

    Bravo pour ce dossier impressionnant, qui reflète parfaitement l’incroyable injustice dont les riverains sont victimes…

    … ceci pour le seul profit du lobby de vendeurs d’alcool ! Quel scandale. Quelle atteinte à la santé publique.

    Et quelle démission dos élus Parisiens… qui ont ont « trahi » les Parisiennes et les parisiens : tout simplement.

    1. Bonjour,
      Nous avons effectivement pris connaissance de vos points et c’est un oubli que nous souhaitons corriger dans une mise à jour prochaine du dossier.
      Merci beaucoup !
      L’équipe #saccageparis

  5. Les exploitants des bars &CO oublient que l’extension des terrasses avait été prévue au moment de la Covid pour compenser l’interdiction de servir à l’intérieur des salles. Or maintenant, cela n’a plus aucune raison de continuer, c’est tout simplement un accaparement du bien public favorisé par notre Maire qui ne « réenchante pas les parisiens »

    1. Oui, mais certains cafés avec les terrasses avaient multiplié par quatre ou cinq leur nombre de places dans des cafés petits. Ils ne veulent pas renoncer, et il faut donc les contraindre, car comme le dit le sujet, ils sont déjà eu de la chance en bénéficiant d’avantages par rapport aux cafés concurrents qui n’avaient pas la possibilité d’installer une terrasse. Il faut aussi résister à l’argument selon lequel ces pauvres cafetiers-restaurateurs auraient engagé de grosses dépenses pour monter leur terrasse. Ils avaient été prévenus que ce serait éphémère.

      1. la privatisation ne concerne pas que les terrasses : le boulevard du Palais est totalement fermé aux piétons en raison de procès divers depuis plusieurs semaines ce qui n’a rigoureusement aucun sens puisque l’entrée au Palais a toujours été filtrée par la police.

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