La loi de 1982 dite loi PLM

Article « PLM » de @mtwit75 avec la contribution des fondateurs du site #SaccageParis

Ou comment le Maire de Paris peut être élu sans obtenir le suffrage populaire.

Dans toutes les communes de plus de 1 000 habitants, les conseillers municipaux sont élus au scrutin proportionnel, de liste, à deux tours avec prime majoritaire. Les mêmes listes de candidats sont présentées à tous les électeurs. Les conseillers municipaux élisent ensuite le Maire.

Mais à Paris[1], Lyon et Marseille, c’est différent. Cela se passe dans les grandes lignes comme l’élection présidentielle aux Etats-Unis, scrutin indirect au cours duquel les citoyens votent pour des grands électeurs dans chacun des Etats qui, ensuite, élisent le président. Dans ces villes, l’élection municipale ne se joue pas à l’échelle de la ville, mais par arrondissement ou secteur.

[1] Pour faciliter la lecture, on n’évoquera que le cas de Paris, avec le vocabulaire associé, sachant que les règles sont similaires à Lyon et à Marseille

1. Paris, Lyon, Marseille … et pourquoi pas Toulouse ?

Pourquoi le Maire de Lyon (496 343 habitants) est-il élu selon des règles différentes qu’à Toulouse (440 200 habitants) ? Il n’y a aucune explication rationnelle à cette différence de traitement. En pratique, à Paris, avec la loi PLM :

  • Le scrutin se déroule avec des listes propres à chaque arrondissement[2] et permet l’élection des conseillers d’arrondissement, dont les conseillers de Paris (ces derniers représentant environ un tiers des conseillers d’arrondissement). Par exemple, pour Paris Centre : 8 des 24 conseillers d’arrondissement sont conseillers de Paris.
  • Les conseillers d’arrondissement élisent ensuite le Maire d’arrondissement.
  • Les conseillers de Paris issus de chaque arrondissement siègent ensemble au Conseil de Paris et procèdent à l’élection du Maire de Paris.

A Paris, on compte 513 élus répartis dans les différents arrondissements, dont 163 conseillers de Paris

[2] Les 4 premiers arrondissements de Paris sont regroupés en un secteur, dit de « Paris-Centre », qui a les mêmes règles qu’un arrondissement.

2. Les Parisiens pas tous égaux

Les évolutions démographiques entre les arrondissements rendent impossible une représentativité identique. Par exemple, un conseiller de Paris du 18ème arrondissement représente 7 193 électeurs inscrits alors qu’un conseiller de Paris du 9ème arrondissement en représente 9 917, soit 38% d’écart. Est-ce équitable ?

En prenant comme référence le 18ème arrondissement, on peut mesurer la perte de représentativité des voix pour chaque arrondissement.

loi-plm

Ainsi, ce sont potentiellement 189 912 électeurs dont la voix ne porte pas au niveau de Paris, soit plus de 14% du corps électoral.

En appliquant cette proportion d’électeurs « non représentés » aux résultats du 1er tour 2020 par arrondissement (le 1er tour étant plus représentatif des idées réelles des électeurs), on observe que les oppositions ont ainsi vu 8 600 électeurs « dont la voix n’a pas compté » de plus que ceux de la majorité. Ce chiffre irait mécaniquement croissant avec une abstention moins importante que celle constatée en 2020 (57,7%), notamment chez les plus âgés (Covid)    

a. Un Maire minoritaire en voix mais majoritaire en sièges, c’est possible

Le mécanisme d’élection des conseillers de Paris par arrondissement peut conduire à la situation suivante : un groupe politique majoritaire en voix sur l’ensemble de Paris serait minoritaire au conseil de Paris.  La majorité au conseil de Paris, et donc le Maire, serait en réalité minoritaire au niveau de la Ville. Ce cas de figure s’est déjà produit en 2001 lors de l’élection de Bertrand Delanoë. Marseille a également connu le même sort en 1983 (Gaston Deferre – oui, le même Gaston Deferre à l’origine de la loi PLM en 1982) et Lyon en 2001 (Gérard Collomb).

Dans l’exemple ci-dessous pour Paris, limité à 2 groupes politiques pour faciliter la compréhension, on a bien les listes A qui sont majoritaires au Conseil de Paris (57 %), bien qu’étant minoritaires en voix sur l’ensemble de Paris (47 %).

b. Absence de majorité absolue au Conseil de Paris ? C’est aussi possible

Contrairement aux arrondissements, pour lesquels il est assuré qu’un groupe ait la majorité absolue, il se peut qu’aucune majorité absolue ne se dégage au Conseil de Paris.

Le jeu des alliances après les élections (lors du « 3ème tour ») peut alors conduire à ce que le groupe pourtant majoritaire en voix au niveau de la Ville soit exclu de l’exécutif. Cette situation a failli se produire à Marseille en 2020.

3. Un Maire et ses adjoints à la légitimité personnelle restreinte

Le Maire de Paris et ses adjoints ne sont donc directement élus que par les électeurs de l’arrondissement dans lequel ils se sont présentés.

Ainsi, par exemple en 2020, David Belliard, adjoint chargé de la transformation de l’espace public, des mobilités et des transports, a recueilli dans le 11ème arrondissement 5 340 voix au 1er tour…

Néanmoins, La question de la réelle représentativité de ces élus à l’échelle de la Ville peut se poser quand on rapporte ce nombre aux 553 017 suffrages exprimés pour Paris lors de ce premier tour.
5 340 voix ce n’est pas grand-chose pour quelqu’un qui entend modifier entièrement la structure d’une ville de 2,2 millions d’habitants et 2 millions d’actifs.

La Maire élue a, elle, choisi de se présenter dans le 11ème arrondissement, plutôt que dans le 15ème, son arrondissement de résidence, pour éviter une défaite électorale dans son arrondissement. Anne Hidalgo a justifié à ses détracteurs ce changement ainsi « J’ai surtout une fidélité à Paris. Je suis candidate pour être à nouveau Maire de Paris pour un nouveau mandat, pas pour être Maire d’arrondissement (…). » Il est intéressant de noter que la loi PLM est ici encore en contradiction avec le principe du Code électoral qui oblige les élus municipaux à avoir une attache (lieu de résidence ou détention d’un actif immobilier) dans la commune dans laquelle ils se présentent. Dit autrement, si on avait appliqué le Code électoral aux arrondissements parisiens, Anne Hidalgo aurait eu l’obligation de se présenter dans le 15ème arrondissement et donc de s’exposer à une défaite électorale. 

4. Une stratégie électorale pour empêcher l’alternance ou conquérir la Ville ?

Plutôt que de raisonner à l’échelle de Paris, un groupe politique a tout intérêt à élaborer une stratégie visant à segmenter les arrondissements : perdus d’avance, gagnés d’avance, et gagnables, en privilégiant ceux qui ont le plus de postes de conseillers de Paris.

Du simple résultat de quelques arrondissements dépend le basculement ou non de toute la capitale. Il est ainsi possible de maximiser ses chances en soignant particulièrement les électeurs des quelques plus gros arrondissements susceptibles d’être gagnés, ouvrant la porte au clientélisme, au détriment de l’ensemble des Parisiens

a. Un fractionnement en 17 élections différentes, avec des alliances différentes

17 scrutins se déroulant en 2 tours pour chaque arrondissement favorisent l’apparition de listes dissidentes locales et de combinaisons différentes selon les endroits, avec une stratégie illisible pour les électeurs au niveau de la Ville.

Ainsi en 2020, on comptait 18 listes dissidentes LREM et 8 listes dissidentes LR.

La répartition des voix au 1er tour au niveau de Paris entre les 4 partis principaux, en incorporant les listes dissidentes

Difficile de prédire ce qu’aurait donné un scrutin « classique » au niveau de la Ville avec ces chiffres de 1er tour, sans l’effet réducteur de la loi PLM. Les reports de voix au 2ème tour répondent à une stratégie locale mais aussi au niveau de la Ville, pas simple donc pour les électeurs de s’y retrouver.

b. Un arrondissement gagné dès le 1er tour : des électeurs en manque et un résultat faussé ?

Lorsqu’une liste obtient la majorité absolue dès le 1er tour dans un arrondissement, il n’y a pas de 2ème tour. Le 2ème tour se déroule en revanche dans les autres arrondissements. En 2014, il n’y a eu qu’un seul tour dans les 1er, 6ème, 16ème et 17ème arrondissements. En 2020 dans le 7ème arrondissement.

Or, il est fréquent que des listes fusionnent voire que des programmes évoluent entre les 2 tours. Les électeurs non appelés à s’exprimer pour le 2ème tour peuvent ainsi se sentir empêcher d’exprimer pleinement leur choix électoral.

Par ailleurs, pour les arrondissements concernés, la répartition par groupe politique  de conseillers de Paris est figée à l’issue de ce 1er tour, et nul ne peut savoir si elle n’aurait pas évolué, compte-tenu de la modification de l’offre politique entre les 2 tours. Cette situation a pu laisser Nathalie Kosciusko-Morizet penser en 2014 qu’elle aurait eu plus de voix que la gauche s’il y avait eu 2 tours dans l’ensemble de la capitale.

5. Un découpage qui favorise l’abstention ?

A quoi bon aller voter quand on est électeur de gauche dans un arrondissement de droite, et vice versa, puisque sa voix ne comptera pratiquement pas au niveau de la Ville ? Un scrutin de liste unique pour l’ensemble de Paris remettrait au contraire tous les Parisiens sur le même pied d’égalité, quel que soit leur arrondissement.

L’abstention peut également être favorisée par la confusion entre les programmes et listes par arrondissement, et le programme au niveau de la Ville, ainsi que par l’effacement des leaders municipaux (majorité et opposition) sur les listes d’arrondissement.

6. Pléthore d’élus et d’adjoints … et moi et moi et moi

La loi du 31 décembre 1975 prévoyait 18 adjoints réglementaires et au maximum 9 adjoints supplémentaires (donc 27 adjoints au maximum), avec un conseil de Paris composé de 109 membres. Le nombre maximum d’adjoints est désormais de 48.

A la suite des élections de 2020, ce sont 37 adjoints qui ont été nommés.

513 élus, dont 163 conseillers de Paris, 37 adjoints … la Ville est-elle mieux administrée qu’en 1975 ?

7. Une répartition des pouvoirs … pour se renvoyer la balle

Un partage des pouvoirs de police entre le Préfet de Police (dépendant du gouvernement) et le Maire de Paris, un partage des pouvoirs entre la Mairie de Paris et les Mairies d’arrondissement (dont certaines dans l’opposition à la Mairie centrale) : les munitions sont sur la table pour que les Parisiens comptent les points au détriment de la volonté réelle de résolution des problèmes. Le récent exemple du Jardin d’Eole en est l’illustration parfaite.

https://twitter.com/simonlouvet_/status/1441313238365315074

8. Des propositions à mettre en œuvre !

  • Egalité des électeurs : chaque voix doit avoir le même poids, quel que soit l’arrondissement
  • Des listes pour l’ensemble de Paris :
    • une vision stratégique au niveau de la Ville 
    • une légitimité des élus renforcée
  • Une diminution du nombre d’élus et d’adjoints pour :
    • Une meilleure efficacité
    • Une meilleure identification des interlocuteurs
    • Une économie budgétaire (en incluant les effectifs des cabinets)
  • Une répartition des responsabilités claire entre Préfecture de police et Mairie, entre Mairie centrale et Mairies d’arrondissements

Sources :


2 réflexions sur “La loi de 1982 dite loi PLM”

  1. Pour des raisons professionnelles j’ai quitté Paris en 1980 et me suis installée à l’étranger où réside également la famille que j’y ai fondée. Il y a 20 ans j’ai racheté un appartement à Paris dont je profite bien depuis ma retraite. J’ai le droit de voter pour les élections présidentielles françaises en tant que française de l’étranger mais plus pour les municipales depuis quelques années. La suppression de ce droit de vote est bien dommageable car je paie des taxes foncière et d’habitation et remplis pleinement mes devoirs de citoyens. J’estime cependant que j’ai le droit aussi de m’exprimer sur la vie de la cité à laquelle je contribue. Et je pense qu’il y a de nombreux résidents secondaires qui se trouvent dans la même situation, que ce soit à Paris ou ailleurs. Ce sont autant de voix qui n’ont pas le droit de vote, ce n’est pas normal.

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